Syndicats policiers : une défense immodérée… et intéressée

Les organisations de policiers cajolent leurs adhérents en refusant toute réflexion critique sur l’institution. Un jeu malsain.

Romain Haillard  • 15 juillet 2020 abonné·es
Syndicats policiers : une défense immodérée… et intéressée
Les syndicats Unsa-Police et Alliance manifestent sur les Champs-Élysées, à Paris, le 12 juin.
© Thomas SAMSON / AFP

Les flics contre le reste du monde. Par leur défense sans faille et parfois aveugle des policiers, les syndicats se sont enfermés dans une rhétorique isolationniste. Plus qu’une agressivité sincère, la surenchère victimaire et sécuritaire traduit un jeu de séduction pour s’attirer la faveur des uniformes.

La puissance des syndicats ne sort pas de nulle part. Ces organisations la tiennent de leur représentativité sans équivalent : 83 % de participation aux dernières élections professionnelles de 2018. Et elles luttent en permanence pour conserver cette légitimité. Un jeu complexe d’interdépendance se joue entre les syndicats et leurs adhérents. Un jeu malsain avec pour conséquence l’abandon de toute tentative d’autocritique de l’institution.

En tête chez les gardiens de la paix, Unité SGP Police-FO et Alliance. Les deux rivales revendiquent respectivement 32 000 et 36 000 adhérents, soit plus des deux tiers des effectifs. La démonstration d’un esprit de corps ? D’une pleine adhésion à leurs idéologies ? En réalité, les fonctionnaires ne peuvent pas se passer des syndicats. Ne pas avoir le soutien d’une puissante centrale peut ralentir une carrière.

Voir des moins expérimenté·es être muté·es avant soi, ne pas obtenir son avancement ou même ne pas être défendu·e lors d’un conseil disciplinaire… Les syndicats ont leur mot à dire sur la plupart des actes de l’administration – au point de devenir une « administration bis ».

>Lire aussi : Hiérarchie, la racine du mal ?

Ne pas choisir une écurie s’avère risqué. « Il y a toujours eu un côté utilitariste dans ce syndicalisme », affirme Jean-Louis Loubet del Bayle, auteur de plusieurs ouvrages sur la maison police. « Les policiers correspondent à une clientèle, et ils attendent des services en retour de leur adhésion », analyse le politologue, avant de comparer : « Rien à voir avec la pratique syndicale dans le reste de la société. Il n’y a pas obligatoirement une cohérence idéologique entre les adhérents et leurs représentants. »

« Je n’y suis pas par conviction », confirme Alix_, officier de police judiciaire en région parisienne. Représentant syndical à Alternative Police (minoritaire), le fonctionnaire francilien cherchait avant tout à _*assurer ses arrières__ : _« Être représentant syndical m’apporte une liberté de parole et me préserve des foudres de la hiérarchie. »_

Si les prises de position de son organisation n’emportent pas sa pleine adhésion non plus, il la préfère encore aux syndicats majoritaires : « Ils occupent l’espace médiatique, mais ils ne s’attaqueront jamais au débat de fond, ils préfèrent l’invective. Sous couvert de défense des policiers, ils nous desservent. »

Surtout, Unité SGP Police-FO et Alliance utilisent les mêmes recettes au point de gommer toute différence idéologique. Qui défendra le mieux l’uniforme ? « Les syndicats participent en effet au manque général d’imagination politique concernant les finalités de la police aujourd’hui », assène Fabien Jobard, expert en sociologie de la police. Une conséquence des calculs politiques de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur et candidat à la présidentielle, selon le chercheur au CNRS.

« Il s’est appuyé notamment sur le syndicat Alliance pour radicaliser le discours sur la sécurité. Ensuite, le jeu de la concurrence a été libéré. Les syndicats adverses, comme Unité-SGP, n’ont jamais couru le risque de paraître timorés. » Mais la toute-puissance de ce duopole pourrait vaciller.

La loi Dussopt, adoptée l’année dernière, pourrait faire perdre la mainmise des syndicats sur l’avancement et la mutation des agents. Le texte prévoit la suppression des commissions administratives paritaires (CAP), où les organisations syndicales pouvaient faire directement pression sur l’administration.

Du côté des syndicats majoritaires, leur suppression ne suscite pas d’inquiétude. Les négociations de couloir perdureront, soutient Stanislas Gaudon, délégué général d’Alliance : « Avant l’élaboration des tableaux d’avancement, il y aura toujours des tours de négociations, des échanges d’e-mails, des discussions, des rencontres informelles avec l’administration. »

Fabien Jobard prédit un avenir moins radieux pour les deux colosses de la maison police. « La mutation et l’avancement sont déterminants pour les policiers. C’est de cette mainmise sur la carrière des fonctionnaires que les syndicats tirent leur pouvoir. La loi Dussopt redistribue les cartes », avance le chercheur avant de conclure : « Les syndicats représentatifs perdent énormément. Ils perdent face à la hiérarchie. Ils perdent face à leurs électeurs. Et ils perdent face aux petits syndicats, souvent plus imaginatifs et plus divers. » Peut-être la fin du vote utile aux élections professionnelles de 2022 et la désescalade dans l’outrance ?

  • Le prénom a été changé.

Société Travail Police / Justice
Publié dans le dossier
Où va la police ?
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