Trump Country
Lovecraft fut aussi, et tout au long de sa vie, un raciste fanatique – et cette abjection trouve dans le trumpisme quelques réduplications.
dans l’hebdo N° 1611 Acheter ce numéro
Dans trois numéros, Politis ferme, comme tous les ans, pour l’été, puis rouvrira fin août. Dans ces trois numéros – et sauf, bien sûr, si d’ici là je change d’avis –, je voudrais te parler de quelques récents livres, comme d’autant de suggestions (1) de lecture pour ce mois durant lequel nous serons donc temporairement séparé·es.
Et je voudrais commencer par _Lovecraft Country__,_ roman (remarquablement) traduit de l’américain par Laurent Philibert-Caillat et tout récemment paru au format de poche chez 10-18 (2).
En l’abordant, on présume évidemment, à son titre, que son auteur, Matt Ruff, a voulu honorer la mémoire de l’un de ses lointains devanciers : l’écrivain états-unien Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), natif du Rhode Island et inventeur du mythe de Cthulhu, qui fut un maître de la littérature d’épouvante et dont l’œuvre a très durablement influencé ce genre.
Et cette supputation n’est pas complètement fausse – car Ruff, qui maîtrise parfaitement les codes et l’univers de son distant prédécesseur, en use avec brio pour distiller, tout au long de son récit fantastique, des anxiétés toutes lovecraftiennes.
Mais cette supposition n’est pas non plus complètement juste. Car Lovecraft fut aussi, et tout au long de sa vie, un raciste fanatique – et c’est de cette abjection, qui trouve bien sûr dans le trumpisme quelques réduplications (3), que Matt Ruff s’empare, pour narrer, aux frontières du réel et par une succession de courts récits (d’un format lui aussi très lovecraftien), les prodigieuses tribulations, circa1954, de son jeune héros chicagoan, Atticus Black, et de ses proches.
Dans ces pérégrinations qui les mettent aux prises avec des forces maléfiques et surnaturelles, ces emballants personnages, parmi lesquels se détachent notamment des femmes formidables, vérifieront (et avec eux, bien sûr, les lecteurs et lectrices de leurs aventures) que la véritable épouvante ne réside pas tant dans ces fantasmagories que dans la réalité de l’Amérique ségréguée de l’après-Seconde Guerre mondiale, où des « démocrates à l’ancienne » se plaisent encore, jusque dans l’Illinois, à « enfiler une cagoule » du Ku Klux Klan « une fois la nuit tombée ».
L’hommage de l’écrivain new-yorkais Matt Ruff, écrit en 2016, apparaît dès lors pour ce qu’il est, dans toute sa déchirante actualité : un déboulonnage en règle de l’Amérique raciste restée si longtemps inchangée, additionné discrètement d’une cinglante dénonciation des hypocrisies nordistes, qui aimeraient tant faire accroire que ces haines ont été exclusivement sudistes.
(1) Plutôt que de conseils – parce que, bon, à la fin des fins, tu feras bien comme tu voudras.
(2) 480 pages, 8,80 euros. Signalons la parution, chez le même éditeur, du deuxième volume des aventures de Jane Prescott, femme de chambre, dans la bonne société du New York des années 1910 : Une mort sans importance, par Mariah Fredericks, traduit par Corine Derblum.
(3) Est-ce que j’adore ce mot ? Absolument.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.
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