Le réchauffement climatique nuit aussi à la santé mentale
Des études mettent au jour l’incidence du dérèglement climatique sur une augmentation des troubles psychiques et des suicides. Une réalité moins prise en compte que celle concernant les risques physiques.
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Depuis une dizaine d’années, les corécipiendaires du prix Nobel de la paix en 2007, Al Gore et les experts du Giec, prévoyaient une hausse des pathologies liées au stress – stress chronique, anxiété – et des suicides. Alors que les conséquences du réchauffement climatique sur la santé « physique » sont bien répertoriées, celles relatives à la santé mentale restent largement méconnues des chercheurs, malgré des données préliminaires préoccupantes. Selon Susan Clayton, auteure du rapport Santé mentale et changement climatique (1), de tels effets, bien que peu reconnus par la communauté des psychiatres, affectent également un nombre considérable de personnes. Ainsi, des études ont décrit l’impact des changements climatiques sur la santé mentale lors des vagues de chaleur ou de sécheresse exceptionnelles. Elles suggèrent par exemple que, avec 250 millions de réfugiés climatiques estimés à l’horizon 2050, ces pathologies risquent d’être aggravées par les mouvements de population dus à l’élévation du niveau des mers et à la destruction des logements, des établissements médicaux et autres services essentiels. Rappelons que plus de la moitié de la population mondiale vit à moins de 60 kilomètres de la mer !
Un article publié en 2018 dans la prestigieuse revue Nature Climate Change démontre quant à lui que l’augmentation des températures fera grimper le taux de suicide. Menée par une équipe de chercheurs de l’université de Stanford, l’étude a comparé, d’une part, des données sur les taux de suicide aux États-Unis entre 1968 et 2004 et au Mexique entre 1990 et 2010 avec, d’autre part, les chiffres de température et de précipitations dans ces régions. Elle établit une relation très cohérente entre les hausses de température et l’accroissement du risque de suicide : lorsque les températures mensuelles moyennes s’élèvent de 1 °C, le taux de suicide augmente respectivement de 0,7 % et 2,1 % dans chacun des deux pays. Si les températures globales continuent à croître, d’ici à 2050, il pourrait y avoir entre 9 000 et 40 000 suicides supplémentaires rien qu’aux États-Unis et au Mexique – soit approximativement l’équivalent du nombre de suicides supplémentaires suivant une récession économique.
Alors que les médias attirent l’attention sur le fait que le suicide est d’ores et déjà l’une des causes majeures de décès au niveau mondial – chaque année, dans le monde, près d’un million de personnes se donnent la mort –, une étude par méta-analyse publiée en 2019 par des équipes chinoises suggère une association significative entre les augmentations de température et la durée de l’insolation, d’une part, et l’incidence du suicide, d’autre part. Les populations vivant dans les zones tropicales et tempérées seront particulièrement vulnérables à ces augmentations de température.
Si les liens entre suicide et élévation des températures demeurent mal connus, des études avaient déjà montré qu’il existait une relation entre l’augmentation des températures et celle des violences interpersonnelles, et donc le suicide, celui-ci pouvant être considéré comme un acte de violence dirigé contre soi-même. Lisa Page, chercheuse en psychologie au King’s College de Londres, note que le mécanisme le plus probable pour expliquer le lien entre suicide et hautes températures est psychologique : « Lorsque les températures sont élevées, les individus se comportent de façon plus désinhibée, agressive et violente, ce qui pourrait en retour augmenter la propension au suicide. » Une explication biochimique a été également suggérée : les températures de plus en plus élevées entraînent un stress chronique, provoquant une augmentation de l’hormone de stress, le cortisol, réduisant la qualité du sommeil et perturbant l’activité physique routinière.
Les effets du réchauffement sur la santé mentale sont encore très peu étudiés : en France, par exemple, aucune étude à ce jour ne montre l’impact des canicules sur le comportement des individus. À l’échelle mondiale, les services de santé mentale et de psychiatrie sont sous-financés ou surchargés.
Les problèmes de santé mentale se manifestent de différentes façons en fonction des contextes et au cours de la vie des individus. Ils sont le résultat de complexes chaînes de causalité, ce qui signifie que le climat n’est pas, à lui seul, la cause du suicide, mais un facteur parmi d’autres. Psychiatres et psychologues seront donc placés en première ligne par le réchauffement climatique. Celui-ci devra désormais faire partie intégrante des facteurs de risques environnementaux d’altération de la santé mentale.
Emmanuel Drouet Microbiologiste à la faculté de pharmacie de Grenoble
(1) Publié en mars 2019 par l’Association américaine de psychologie et l’ONG EcoAmerica.
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