Philippe Bordas : L’Afrique au combat
Photographe avant d’être écrivain, Philippe Bordas a longtemps fait du continent africain le terrain de jeu de son objectif. Entre lutteurs et boxeurs, c’est un extrait de son travail qu’il nous propose de regarder.
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Philippe Bordas, c’est aujourd’hui une plume. Et assurément la plus exigeante qui soit. Il convient de lire Forcenés et L’Invention de l’écriture (chez Fayard), Chant furieux et Cœur-Volant (chez Gallimard), mais Bordas a une activité parallèle : la photographie. Un exercice accompli bien avant l’écriture. Une décennie durant, il a séjourné au Kenya, dans un club de boxe de Mathare Valley, à deux jets de pierre de Nairobi, puis à Dakar, parmi les cadors de la lutte. C’est là qu’il développe son métier de photographe, au débotté des conditions, des angles et des couleurs. Ou plutôt un art de la photographie. Jonglant avec les lumières naturelles. Obscurité comprise. Jonglant aussi avec la scénographie fascinante de ces pratiques, touché « par la différence entre ces deux mondes de la frappe et du combat », confie-t-il.
Le frais et fringant photographe en a fait un travail d’haleine longue (prenant même des cours du soir de baston au Kenya !), entre l’extrême est et l’extrême ouest du continent noir, portraiturant une Afrique debout à travers deux conceptions antagonistes du combat. Ici des ports de tête nobles, éclaboussant de détermination farouche, des torses sculptés au scalpel, des gouttes perlant sur le visage, obstinément, se faufilant sous les haillons ; là des corps colosses, vigoureux, fiers et félins, des maîtres de la toise arrogante, derviches danseurs, hardis guignols en bande mordant le sable et la poussière…
Philippe Bordas se souvient : « D’un côté, la boxe anglaise. Cinquante boxeurs reclus dans une salle de catéchisme, au cœur du bidonville de Mathare Valley. Des corps en sueur dans une salle volontairement privée d’oxygène. Des écorchés fondus sous un néon défunt, électrisés par le fantôme de Mohammed Ali, des esprits brûlés par les hautes ascèses du monde blanc que sont la boxe et la mystique chrétienne. De l’autre côté, la lutte sénégalaise. Des corps pleins, reposés. Un affrontement à ciel ouvert dans les arènes de sable du Sénégal. Une joute rituelle au cœur des villes et des villages. Un duel socialisé, musical, vierge d’influence blanche. Des lutteurs enracinés dans leur terre et ne rêvant d’aucune Amérique. Des lutteurs sevrés des paroles magiques des marabouts et du chant des tambours, protégés du monde par le chœur des femmes et les poèmes guerriers nés aux racines du terroir. D’un côté de l’Afrique, la boxe en cellule. Le combat comme vertige, autodestruction. Le combat contre soi. De l’autre côté, la lutte à ciel ouvert. Le combat comme déploiement poétique et lien aux forces invisibles. » Hymne aux racines, aux rites. Le photographe en avait rapporté un récit polyphonique imagé (1). Plus tard, il s’attachera aux chasseurs du Mali, aux cavaliers mossis du Burkina Faso. Avec cette volonté de hisser la majesté quand elle se gave d’authentique.
(1) L’Afrique à poings nus, Seuil, 2004, récompensé par le prix Nadar.
Philippe Bordas est représenté par la galerie In Camera, 21, rue Las Cases, Paris VIIe.