Une rentrée scolaire dans le flou
Le ministre se veut rassurant, mais profs et parents d’élèves attendent toujours des réponses claires à leurs interrogations.
dans l’hebdo N° 1616 Acheter ce numéro
Manque de clarté, injonctions contradictoires, protocole non conforme aux besoins… Plus de 12 millions d’élèves et un peu moins de 900 000 enseignants se préparent à une rentrée compliquée ce 1er septembre. Le protocole sanitaire sur lequel est censé se fonder l’ensemble de l’organisation scolaire a été largement allégé par rapport à ce qui avait été mis en place après le confinement. Pour le moment, la règle est globalement un retour général dans les classes, une distanciation physique non obligatoire et une cantine ouverte. « L’ensemble du gouvernement a pris des mesures drastiques dans le monde du travail et nous, on a un protocole datant du 7 juillet, que Blanquer n’amende quasiment pas, alors que le virus circule, note Nicolas Glière, membre du mouvement des “stylos rouges”. On ne peut pas aller dans un stade mais on peut être à 35 dans une classe : il y a une énorme incohérence ! »
L’un des seuls réels renforcements que le ministre a bien voulu concéder sous la pression des syndicats d’enseignant·es, c’est le port du masque obligatoire pour les enseignants en milieu clos et les enfants de plus de 11 ans. Pour ces derniers, ils sont à la charge des parents, à l’instar d’« une fourniture comme une autre »,a expliqué Jean-Michel Blanquer. Une hérésie pour bon nombre d’acteurs de l’éducation. « Le ministre invoque -l’augmentation de l’allocation scolaire pour les parents, mais ça n’a rien à voir ! » s’étouffe Frédérique Rolet, professeure de lettres et secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat dans le secondaire. D’autant que, sur le port du masque, la communication ministérielle n’est pas claire. Jean-Michel Blanquer a annoncé sur BFM que les enseignants pourraient l’enlever s’ils se trouvaient à deux mètres de distance des élèves. « On a besoin de réponses claires : il faut mettre le masque partout, même dans la rue, ou pas ? » se demande Nicolas Glière.
Dans le protocole du gouvernement, deux hypothèses sont tout de même envisagées. L’une en cas de « circulation active » du virus, nécessitant un « protocole sanitaire strict », l’autre dans l’éventualité d’une circulation « très active », ayant pour conséquence la fermeture des établissements. Dans le premier cas, des demi-groupes d’élèves pourraient être mis en place. Dans le second, il s’agirait d’un retour à la maison avec classe à distance – sur le même modèle que ce qui s’est fait -pendant le confinement. « Des simulations d’emploi du temps ont été faites en fonction des degrés par demi-journée, mais il aurait fallu prévoir l’équipement informatique », clame Frédérique Rolet. Or le versement de la prime d’équipement destinée aux enseignants n’est pas prévu avant 2021.
Par ailleurs, aucune aide financière n’a pour le moment été débloquée en direction des collectivités territoriales – mairies en charge du primaire, départements et régions pour le secondaire : « Certaines collectivités fournissent des ordinateurs, mais elles vont aussi investir pour le savon et le gel hydroalcoolique. On a peur que les mairies vident leur budget sur le sanitaire et n’aient plus ce qu’il faut pour l’éducation pure », s’alarme Naïma*, professeure des écoles en CM1 à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis. « Certaines communes ont aménagé des sanitaires supplémentaires à leurs frais, et ça aura forcément des conséquences si l’État ne fait pas plus en direction des collectivités », confirme Céline Brulin, sénatrice de Seine-Maritime, membre de la commission de l’éducation, qui a rendu un rapport alarmant sur les conséquences de l’épidémie dans l’enseignement scolaire.
« Le ministre nous dit qu’on va réquisitionner des salles pour permettre un présentiel en cas de crise, mais il faut surveiller ces classes, vérifier à l’entrée les masques et les carnets, et pour ça il faut du personnel ! » Or le gouvernement a dégraissé dans le secondaire. « Il a supprimé 440 postes », confirme Frédérique Rolet, alors même que l’une des priorités pédagogiques imposées par le ministère est d’« apporter une réponse personnalisée aux besoins des élèves ». Malgré la crise, la logique du « faire plus avec moins » perdure. « Nous avions demandé à recruter tous les admissibles au concours. Les services du ministère ont pris le nombre de postes qu’ils avaient prévu avec le même budget. »
Une pétition a été lancée par l’association de parents d’élèves FCPE, réclamant un recrutement massif « pour que les classes fonctionnent en petits effectifs », mais aussi la mise à disposition de masques FFP2 pour les enfants et les personnels fragiles. Le mouvement des « stylos rouges » les évalue à 200 000 chez les enseignant·es. Seule réponse du ministre : ils ou elles pourront être exempté·es de travailler sur avis médical. Sur l’ensemble de l’organisation, Jean-Michel Blanquer opte pour le « cas par cas ». Mais tous sentent le moment où ils se retrouveront une nouvelle fois devant le fait accompli.
D’autant que, d’après nos informations, aucune concertation n’a eu lieu pendant les vacances et, à dix jours de la rentrée, aucune information n’a été communiquée aux enseignant·es. « Si on doit faire face à une reprise de la crise sanitaire, il faut doubler les transports scolaires, étaler les horaires… précise Frédérique Rolet. Il y a des discussions à avoir notamment avec la fonction publique territoriale et on ne sait pas si elles ont lieu ! On n’est pas informés »,déplore-t-elle.
Face à cette impréparation latente à quelques jours de la rentrée, l’un des syndicats – le Snuipp-FSU, majoritaire dans le premier degré – avait appelé, mardi 18 août, à retarder d’une semaine l’arrivée massive des élèves en classe. Une demande qui ne fait pas l’unanimité : « Il aurait surtout fallu anticiper ! » regrette Naïma, pour qui la rentrée en présentiel est importante même si elle suscite quelques angoisses. « J’ai choisi de reprendre la même classe que l’année dernière et j’ai peur de retrouver certains élèves en vrac. Il y en a deux qui ont décroché depuis avril. Il ne faut pas rêver : on ne va pas rattraper le retard en un mois. » Alors, pour Naïma, hors de question d’imposer à ses élèves l’évaluation des compétences proposée par le ministère. « Je ne vais pas les stresser en leur imposant une évaluation avec des divisions à deux chiffres alors qu’on ne les a pas vues ! Je fais mon évaluation. Mes collègues en CP font pareil. » Pour l’enseignante, c’est surtout de temps collectif que les profs manquent : « On a besoin de temps de concertation entre enseignants pour se coordonner : on a des heures de formation sur lesquelles on pourrait prendre ce temps. Mais, pour le ministère, ce n’est pas d’actualité. »
Dans la hâte, un comité interministériel a été lancé le samedi 22 août. À l’heure de boucler ce numéro, le ministre recevait – enfin ! – les fédérations et chefs d’établissement. Frédérique Rolet constate : « Une semaine avant la rentrée : c’est quand même vraiment tard ! » Le 26, la conférence de presse annuelle de rentrée devait permettre au Premier ministre, Jean Castex, et à Jean-Michel Blanquer de préciser leurs annonces. Du côté enseignant, on n’en attend pas grand-chose. « Une déconnexion entre les enseignants et le ministère s’est accentuée avec la crise, constate Naïma. On n’attend plus rien de lui : on a acheté nos ordis, notre gel, nos masques avec notre argent, et on va essayer de faire au mieux. »
- Le prénom a été changé.