« Il faut moins d’avions, revenir à une aviation plus lente, miser sur les alternatives de transport »
Pour Charles Adrien Louis, ingénieur et consultant en développement durable, miser sur la sobriété est plus pragmatique que croire en l’aviation « propre ».
dans l’hebdo N° 1621 Acheter ce numéro
Comment s’aligner avec l’accord de Paris sur le climat, donc ne pas dépasser 2 °C de réchauffement, et sauvegarder l’aviation civile ? Dans leur étude « Climat : pouvons-nous (encore) prendre l’avion ? », les ingénieurs du cabinet B&L Évolution concluent que les bonnes idées existent mais qu’aucune ne permet de transformer l’entièreté du secteur aérien dans un proche avenir. La réduction drastique du trafic s’impose donc. L’analyse de Charles Adrien Louis, l’un des membres de ce cabinet.
Le secteur aérien répète que ses émissions tournent autour de 1,4 % des émissions de CO2 de la France, quand votre étude affirme qu’elles représentent 7,3 % de notre empreinte carbone. Cette bataille des chiffres ne biaise-t-elle pas la stratégie pour diminuer l’impact climatique du secteur ?
Charles Adrien Louis : Nous considérons les trajets en avion comme un acte de consommation des individus, donc nous suivons la logique d’empreinte carbone et non pas d’émissions de gaz à effet de serre (GES) internes à la France, tandis que le secteur aérien met surtout en avant le CO2 des vols internes. Son discours actuel tend à détourner l’attention sur les secteurs plus polluants (l’automobile, l’agriculture) ou à affirmer que ses efforts sont suffisants. En effet, le secteur travaille depuis des décennies à améliorer l’efficacité des moteurs et de l’aérodynamisme, afin de réduire les coûts de carburant. Même si le levier est d’abord économique, l’impact écologique est intéressant. Mais, aujourd’hui, on atteint une sorte d’asymptote : il devient difficile de faire mieux sans changer fondamentalement les choses.
Pour le secteur aérien, « changer fondamentalement les choses » signifie-t-il promettre un « avion vert », « propre » ?
Sa première piste est de changer de carburant. Les agrocarburants apparaissent dans ses scénarios comme l’essentiel de son plan de réduction des émissions à court terme. C’est réaliste, car on sait les fabriquer, et on peut les mélanger au kérosène sans trop diminuer les performances des moteurs. Le problème concerne l’approvisionnement : il faudrait récupérer tous les résidus de culture d’Europe pour faire voler les avions européens ! Or ces résidus servent aussi à la méthanisation ou à préserver la richesse des sols en minéraux. Le secteur aérien préfère parler des carburants de synthèse, qui consistent à retirer du CO2 de l’atmosphère pour fabriquer du carburant. Sympathique sur le papier, mais loin d’être mis en œuvre.
La deuxième piste du secteur aérien est de changer de technologies, avec notamment l’avion à hydrogène. Nous sommes partis du principe que c’est faisable mais, pour le mettre en œuvre, il faut du temps. Or les programmes annoncent l’arrivée des avions à hydrogène en 2035. Et ils ne remplaceront pas toute la flotte, car les travaux ne se concentrent que sur les courts et moyens courriers, avec une distance maximale de 3 500 km.
L’autre stratégie du secteur aérien est de communiquer sur son système de compensation carbone. Quelles en sont les limites ?
Lors des négociations sur les accords climatiques, les États ont acté le fait que le secteur aérien (tout comme le transport maritime) se gérait lui-même. Le programme Corsia a été créé pour définir les trajectoires à suivre afin d’atteindre la neutralité carbone. Si, lors des prochaines années, l’ensemble des émissions dépasse le seuil de 2019, un mécanisme de compensation carbone doit être activé, par exemple en plantant des arbres. Cela pose des questions environnementales mais aussi juridiques : tout ce qui sera utilisé pour compenser les émissions du secteur aérien ne doit pas entrer dans la comptabilité des États.
Plus généralement, la problématique de Corsia est que l’objectif à court terme n’est pas de diminuer les émissions de GES, mais de les plafonner, alors que nous avons besoin d’une réduction importante dès maintenant.
Selon vous, il n’y a qu’une solution efficace et radicale pour suivre une trajectoire raisonnable : diminuer le trafic aérien.
Nous sommes d’accord sur la finalité : dans cinquante ans, nous aurons probablement des avions très peu émetteurs de GES. Notre divergence porte sur le chemin à emprunter jusque-là : pour le secteur, il faut continuer ainsi et attendre les avancées technologiques. Pour nous, il faut voler le moins possible tant qu’elles ne sont pas mises en œuvre. Selon nos calculs, le secteur aérien devrait diminuer d’au moins 2,5 % par an le nombre de passagers, c’est-à-dire inverser la tendance car, jusqu’en 2019, le nombre de passagers augmentait de 3 à 4 %. Nous misons sur le pragmatisme et la sobriété : moins d’avions, une aviation plus lente, ne pas négliger les alternatives comme les trains de nuit, voire le bateau pour les distances plus longues, mais en développant éventuellement les techniques qui servent aujourd’hui aux skippers lors des courses.
Charles Adrien Louis Responsable Énergie-Climat au cabinet d’étude B&L Évolution.