La grève de la vie d’Alain Cocq
Il a fallu cette « provocation » d’Alain Cocq, qui a décidé d’arrêter de manger et surtout de boire, pour rouvrir le débat sur la fin de vie.
dans l’hebdo N° 1618 Acheter ce numéro
À l’heure où vous nous lirez, Alain Cocq sera peut-être décédé de déshydratation. Ou bien hospitalisé en urgence pour des soins palliatifs. Ou bien sous puissants sédatifs afin de l’accompagner vers une mort sans souffrance. L’issue semble inéluctable à brève échéance tant l’homme affiche la résolution, mûrie de longue date, d’en finir avec sa « non-vie ». Et quelle que soit la bifurcation prise par ses derniers jours, il aura probablement fait bouger les lignes tant son cas illustre les limites d’une politique française inapte à affronter sereinement le drame de fins de vie insupportables. On a vu récemment avec quel manque de sensibilité le gouvernement a considéré l’état psychologique des personnes âgées en Ehpad au plus fort de la crise du Covid-19.
Alain Cocq, 57 ans, est paralysé depuis l’âge de 23 ans. Un accident a déclenché une maladie dégénérative incurable qui a poussé jusque dans son ultime retranchement sa volonté de vivre. Lucide sur l’évolution de son état, il milite de longue date pour l’euthanasie. Il s’est distingué comme une des figures des gilets jaunes de Dijon, sa ville, manifestant en brancard. On peut lui reconnaître d’avoir porté, au sein des écarté·es de la société, la revendication du droit de mourir dans la dignité, encore largement refusé aux citoyen·nes. À bout, Alain Cocq souffre terriblement, gavé de morphine, et plus encore peut-être qu’on ne l’aide pas à partir. La loi Claeys-Leonetti de 2016 permet certes une sédation profonde jusqu’au décès, mais seulement pour les personnes en phase « terminale ». Ce qui n’est pas, techniquement, le cas d’Alain Cocq, tout grabataire et médicalement surassisté qu’il soit. Alors il a décidé, vendredi 4 septembre, d’arrêter de manger et surtout de boire. Ainsi que de diffuser son agonie en direct sur Facebook, qui a rapidement bloqué l’initiative.
Il est révélateur qu’il ait fallu cette « provocation » pour que surgisse le débat : si Alain Cocq avait lancé sa grève de la vie seul dans son coin, elle n’aurait probablement ému que ses proches. Le petit monde qui milite pour le droit à mourir dans la dignité demande en vain depuis deux ans une révision de la loi. Car on nage dans l’hypocrisie. Les médecins rechignent à recourir à cette sédation, confrontés entre autres à l’appréciation de la phase « terminale ». D’autres prennent le risque d’« aider », sans publicité bien sûr. Des malades se font transporter en Belgique ou en Suisse, où l’euthanasie est autorisée. Alain Cocq a refusé ce pis-aller, au nom de son engagement. Il a rédigé son épitaphe, en signature de son dernier combat : « Ci-gît un homme qui a placé les valeurs républicaines avant ses intérêts propres. »
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