Les 5 failles de la 5G
Loin de la caricature macronienne, le nouveau réseau mobile suscite des interrogations légitimes qui remettent en cause le choix de la fuite en avant technologique.
dans l’hebdo N° 1620 Acheter ce numéro
Des milliards pour l’État
L’État espère récolter au moins 2,2 milliards d’euros de la vente, le 29 septembre, des licences autorisant les opérateurs à émettre aux fréquences dévolues à la 5G. Voilà qui explique le volontarisme de l’exécutif, alors que la demande n’est pas farouche du côté des opérateurs, qui n’ont pas encore fini de déployer la 4G et la fibre optique. Contrairement à ses voisins allemand et italien, qui ont fait grimper les enchères jusqu’à 6 milliards, la France a choisi de partager une partie des fréquences entre les quatre opérateurs Bouygues, Free, Orange et SFR, qui pourront acquérir 50 MHz chacun à prix fixe. Le reste du gâteau (110 MHz) sera réparti entre les plus offrants.
Pour Bouygues et SFR, financièrement à la peine notamment à cause de leurs contrats avec Huawei, la course aux fréquences risque d’être compliquée à suivre. Ils n’ont même pas l’assurance de pouvoir se payer les 80 MHz que les professionnels estiment nécessaires, a minima, pour offrir à leurs clients une 5G correcte. Martin Bouygues a donc tenté d’obtenir un moratoire avec force arguments sociétaux et écolos, qui masquent mal des préoccupations avant tout comptables.
Une fois les licences acquises, les opérateurs devront financer le déploiement des antennes 5G et en répercuter le coût sur leurs abonnés. Les forfaits devraient donc augmenter avec le passage à la 5G, au moins dans un premier temps. Les grands utilisateurs seront aussi mis à contribution (Aéroports de Paris, Air France, RATP, SNCF, etc.), notamment s’ils veulent installer des émetteurs de faible puissance dans leurs enceintes.
E. M.
La fausse amie écolo
Un débit multiplié par dix pour envoyer plus de données mais en consommant moins d’énergie. La promesse est électrisante. Les opérateurs misent sur la capacité des nouvelles antennes à mieux orienter le faisceau vers le mobile ciblé et sur le système de veille. Or l’Autorité de régulation des communications (Arcep) relativise cet enthousiasme en affirmant que cela « pourrait engendrer une augmentation des émissions de gaz à effet de serre des opérateurs puisqu’il a été estimé que l’amélioration de l’efficacité énergétique ne suffira pas, à long terme, à contrebalancer l’augmentation du trafic ». C’est l’« effet rebond ». En effet, ces belles promesses séduiront un nombre croissant d’usagers, annulant de facto les gains environnementaux dus à l’efficacité énergétique.
Les autres dommages collatéraux pour l’environnement concernent l’énergie grise, celle consommée lors du cycle de vie d’un produit (extraction de minerais, transformation, transport…). L’obsolescence des smartphones sera d’autant plus rapide que la plupart ne sont pas compatibles avec la 5G. De même, de nombreux usagers céderont à la surconsommation des nouveaux objets connectés. Malgré ces doutes ou angles morts, il a été confirmé qu’aucune évaluation environnementale préalable ne sera menée avant le lancement des enchères. Un nouveau pied de nez de l’exécutif aux citoyens de la Convention pour le climat, qui avaient demandé un moratoire sur la technologie en attendant qu’une évaluation environnementale et sanitaire soit menée.
V. D.
Pour la santé, repassez plus tard
Alors que le gouvernement martèle l’urgence de lancer la 5G, il ne sait rien à ce jour de ses impacts sanitaires sur la population. Début 2020, l’Anses constatait « un manque important, voire une absence de données scientifiques sur les effets biologiques et sanitaires potentiels liés aux fréquences autour de 3,5 GHz », la première bande prévue pour les émissions de la 5G. Un premier avis de l’agence de sécurité sanitaire n’est pas attendu avant le premier trimestre 2021. Alors que le déploiement commercial des antennes 5G pourrait commencer dès avant la fin de cette année.
Les opposants dénoncent un mépris caractérisé du principe de précaution. Même si l’unanimité n’est pas établie quant aux risques, le nombre d’études préoccupantes a conduit l’Organisation mondiale de la santé à classer les ondes de téléphonie mobile comme « possiblement cancérigènes » pour les humains.
Les tenants d’un déploiement rapide de la 5G rétorquent qu’on ne constate à ce jour aucun dégât sanitaire, qu’il est raisonnable, par proximité, de transposer ces constatations à la bande 3,5 GHz, et que les premières études sur la 5G à l’étranger sont rassurantes. Tant pis si l’on ne sait rien pour la bande 26 GHz qui sera mobilisée plus tard. La puissance de ces antennes sera inférieure à celle de la 4G, mais elles seront jusqu’à dix fois plus nombreuses et proches du public. Or l’exposition certes faible mais permanente à des facteurs de risques peut susciter de nombreuses maladies au terme d’une à plusieurs décennies. Des horizons parfaitement absents du radar des affamés de la 5G.
P. P.
La fracture numérique accentuée
Avant de penser à changer la tuyauterie, il faudrait s’assurer d’un égal accès au réseau pour tous. La France ne figure pas parmi les pays les mieux dotés en 4G : un classement mondial tend même à démontrer l’inverse. Selon OpenSignal, un service de mesure de couverture et de débits, la population bénéficie du réseau de quatrième génération 68 % du temps. Cette moyenne positionne l’Hexagone à la soixante-sixième place du classement sur 88 pays, et donc parmi les pays européens les moins bien dotés en 4G.
Gouvernement et opérateurs tentent de corriger cette fracture numérique, notamment par la signature d’un « New Deal Mobile » en janvier 2018. Mais les géants des télécoms peinent à remplir leur part du contrat. Régulièrement en retard sur l’objectif de couvrir intégralement le territoire en 4G pour la fin 2020, les quatre grands opérateurs ont déjà reçu, en juillet 2019, des mises en demeure de l’Arcep, le gendarme des télécommunications. La crise sanitaire a ralenti ce déploiement. Les investissements dans la 5G ne devraient rien arranger. Le 10 juin, Martin Bouygues, PDG du groupe Bouygues, alertait les sénateurs. Invité par les parlementaires à s’exprimer sur son souhait de reporter les enchères de la 5G, le patron lançait cet avertissement : « Il doit être clair pour tout le monde que, si par hasard il venait à l’idée des pouvoirs publics – après les enchères – de demander aux opérateurs de faire un effort supplémentaire pour la couverture des territoires dans le cadre d’un nouveau programme zone blanche, supposant des investissements des opérateurs, notre réponse sera forcément assez réservée. » Dont acte.
R. H.
Un capitalisme de surveillance
Nos territoires dans une toile d’araignée. Voilà la plus grande promesse du nouveau réseau de communication : opérer un bond dans l’Internet des objets (IoT). Et sa plus grande menace ? L’infrastructure du réseau 5G permet de multiplier par dix le débit et également de supporter un plus grand nombre de connexions et de mise en réseau d’appareils, sans saturation. La 5G n’invente pas la « smart city », ville parsemée de capteurs pour la rendre « intelligente » (entendez : plus intrusive). Mais elle offre une infrastructure suffisamment robuste pour opérer un maillage du territoire et permettre un échange d’informations perpétuel. Des centres commerciaux où le comportement des consommateurs est passé au scalpel et leurs envies anticipées ; un réseau de caméras interconnectées en ultra haute définition pour détecter, identifier et transmettre instantanément des « anomalies » sur la voie publique ; une augmentation du flux d’informations pour permettre une plus grande prédation de nos données personnelles par les géants du numérique. Un vrai progrès. « Nous ne savons rien sur la réalité de ces promesses », tempère Arthur Messaud, membre de la Quadrature du Net, avant de trancher : « Mais nous condamnons le modèle de société vendu avec la 5G. »
R. H.