Les rêves les plus fous de l’extrême droite
Les journalistes pourront désormais « être interpellés en couvrant des manifs ».
dans l’hebdo N° 1620 Acheter ce numéro
Pour la locution « être le fourrier de quelque chose », regrettablement tombée en désuétude, mon dictionnaire de référence donne cette définition (1) : « En préparer, en faciliter l’arrivée. » Par exemple : Emmanuel Macron est un fourrier de l’extrême droite.
Il a été, redisons-le, élu en 2017 par le hasard de sa confrontation de second tour avec la cheffe d’un parti nationaliste (2), et par conséquent par l’élan des millions de votant·es que terrifiait la perspective d’une irruption d’une Pen dans l’Élysée, et qui sont alors passé·es outre la très profonde aversion que leur inspirait l’ex-ministre de l’Économie de François Hollande pour lui donner leurs voix et empêcher cette catastrophe.
Mais, depuis le début de sa présidence, il prépare et facilite une possible victoire, à la prochaine présidentielle, d’un·e candidat·e d’extrême droite – lorsque par exemple il banalise avec ses affidé·es les propagandes sécuritaires les plus dégueulasses, ou plus gravement encore quand il délègue à ces mêmes complices la confection de normes si extraordinairement indécentes qu’elles n’ont de cours officiel dans aucune autre « démocratie ».
Le 16 septembre, son ministre de l’Intérieur a ainsi (et très discrètement) publié un nouveau « schéma national du maintien de l’ordre » (SNMO) où se trouvent dissimulées, parmi d’autres vilenies, des atteintes inouïes à cette « liberté de la presse » dont le chef de l’État français soutenait pourtant au mois de mai 2018, après que des militants pro-Erdogan avaient fait retirer d’un kiosque une couverture de l’hebdomadaire Le Point attaquant le président turc, qu’elle « n’a pas de prix » et que « sans elle, c’est la dictature ».
En effet, ce SNMO prévoit notamment, et au mépris des textes de loi régissant la profession, que les journalistes devront être « accrédités auprès des autorités » dans les manifestations– mais aussi qu’elles et ils pourront, comme l’a relevé Libération, « être interpellés en couvrant [ces] manifs ».
Au moment où j’écris ces lignes, Recep Tayyip Erdogan, qui doit les trouver positivement admirables, n’a pas réagi à l’annonce de ces mesures. Mais il est vrai aussi qu’il n’est pas seul à se contenir : les dignes journalistes (et autres éditocrates) qui en France passent leur temps à hurler qu’« on ne peut plus rien dire » se tiennent soigneusement cois – un peu comme s’ils étaient profondément réjouis de ces devancements où le macronisme anticipe les rêves les plus fous de l’extrême droite.
(1) Et dont ce dico précise qu’elle est « familière et souvent péjorative » – mais cela ne doit pas nous arrêter du tout, car l’éminent personnage dont il va être ici question a récemment redit son goût républicain pour « la liberté de blasphémer » et ne saurait donc s’offusquer de ce qu’on le péjore, précisément.
(2) Car lui le nie depuis trois ans, préférant claironner contre la vérité, en digne VRP de l’époque du tout-mensonge, qu’il fut principalement choisi pour son programme.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.