Même pas avec une longue cuiller
Des indécis·es acceptent depuis des années de danser avec des brutes, et tout d’un coup s’avisent que la musique est vraiment à gerber.
dans l’hebdo N° 1617 Acheter ce numéro
Je voulais composer ici (1) un « roman de l’été », sur le modèle de celui, évidemment immonde, dans lequel Valeurs actuelles a, la semaine dernière, et dans le cadre d’une suite de courtes fictions estivales, « fait voyager » – je cite – la députée insoumise Danièle Obono « dans l’univers atroce de l’esclavage africain du XVIIIe siècle ».
J’avais imaginé, pour ma part, et conformément à la charte définie par cette feuille de chou d’extrême droite pour cette série – « plonger une personnalité contemporaine dans une période passée, afin de faire ressurgir par ce contraste certaines inepties de notre époque » –, de faire voyager son actuel directeur – le jeune Geoffroy Lejeune – dans l’univers atroce de la rédaction de l’hebdomadaire antisémite et collaborationniste Je suis partout du début des années 1940 (2).
Je voulais donc m’essayer à la fiction, mais j’ai changé d’avis quand j’ai découvert que certain·es, parmi La France insoumise – ça faisait longtemps, hein ? –, se scandalisaient haut et fort – et très justement – du racisme du papier de Valeurs actuelles mettant en scène leur collègue Obono.
Car quelques éminent·es représentant·es de cette formation acceptent parfois d’accorder des interviews à ce magazine après que l’un de ses anciens directeurs a déjà été condamné ès qualités pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers les Roms – aux consternants prétextes que d’autres, à gauche, l’ont fait avant eux, et qu’il faut bien répondre « à l’extrême droite ». Ou de se produire dans des talk-shows pourris avec la fine fleur de l’éditocratie réactionnaire. Ou de retourner chez CNews après avoir pourtant promis de ne plus y aller aussi longtemps qu’Éric Zemmour y serait.
En somme, ces indécis·es acceptent, de fait, depuis des années, de danser avec des brutes – ravies de l’aubaine et des brevets de respectabilité qui leur sont ainsi décernés –, et tout d’un coup s’avisent, mais un peu tard, que la musique est vraiment à gerber.
Encore un effort, camarades : la prochaine fois que vous exhorterez « tous les démocrates » à se « lever unanimement pour dire assez » à l’extrême droite, essayez de veiller d’abord à ne plus lui faire la grâce d’accepter ses invitations.
(1) Et dans l’espace (fort) congru de ces deux minuscules feuillets, dont je vais, cette année encore, demander bruyamment le doublement, non mais oh.
(2) L’endroit l’aurait, de fait, ramené à l’histoire du titre qu’il dirige actuellement, puisque cette infecte publication employait notamment l’écrivain fasciste Lucien Rebatet, qui, dans son édition du 28 juillet 1944, proclamait encore sa « fidélité au national-socialisme » et son immense admiration pour le « héros » Hitler – et qui, vingt ans plus tard, après avoir purgé une peine de prison pour collaboration, serait embauché comme chroniqueur par le fondateur de… Valeurs actuelles.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.