NDDL : Après l’aéroport, encore un monde à renverser

La lumineuse victoire de la ZAD continue d’attirer des soutiens. Les « Rencontres intergalactiques », du 24 au 28 août, ont été l’occasion de faire le point sur les luttes toujours en cours.

Romain Haillard  • 2 septembre 2020 abonné·es
NDDL : Après l’aéroport, encore un monde à renverser
© Romain Haillard

Mais il y a encore des gens là-bas ?! » La question revient souvent dans la bouche des automobilistes généreux mais incrédules face aux auto-stoppeurs et auto-stoppeuses sur la route de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Certes, les pirates de Radio Klaxon ne squattent plus les ondes de Vinci et les voitures n’ont plus à zigzaguer entre les obstacles de l’emblématique et bordélique « route des chicanes ». Mais la zone à défendre n’a pourtant rien de paisible. Elle reste un haut lieu de luttes, de rencontres, de réflexions et d’expérimentations. Chez les irréductibles zadistes encore sur zone, la chose était entendue. La ZAD s’était dressée contre l’aéroport et son monde. Aucun avion ne décollera de Notre-Dame-des-Landes, soit, mais il reste encore un monde à renverser.

C’est avec cette idée folle en tête que plusieurs centaines de personnes ont participé à la quatrième édition des « Rencontres -intergalactiques », organisée du 24 au 28 août. Du Chili à Hongkong, du Rojava au Chiapas, ces rendez-vous font converger sur la ZAD les derniers échos des vents de révolte à travers le globe et en France. Rares sont les « touristes ». La plupart des gens de passage apportent leurs expériences de combats d’horizons divers. Des exilés en lutte et des militants en première ligne pour les aider aux frontières ou dans les métropoles ; les réseaux de cantinières et cantiniers ; des militants de la Plaine de Marseille ; les soutiens ou familles de victimes de violences policières, comme Awa Gueye, sœur de Babacar, mort sous les balles de la BAC à Rennes.

Si les discussions et les débats ne commencent qu’en milieu de matinée, certaines projections de film ou présentations peuvent tenir en haleine jusqu’à minuit. « Je n’ai même plus la force d’aller boire un verre, les -discussions m’ont rincée ! » lâche une militante venue de Bruxelles pour cinq jours. Et tout devient politique. Entre les ateliers, les débats – même à table – et la tenue du camp entièrement autogéré par ses participants, pas le temps de souffler plus d’une heure, et les tentes situées à une quinzaine de minutes retrouvent relativement vite leurs campeurs.

Chaque matin, de petites troupes se forment devant l’Ambazada – bâtiment construit lors des premières rencontres intergalactiques en 2017. Martin*, habitant de la ZAD depuis huit ans, demande à une trentaine de personnes de se rapprocher de lui. Pas question de perdre son énergie à hausser la voix, il s’apprête à entamer une visite commentée qui durera cinq heures. La quatrième de la semaine. « J’essaie de raccourcir, mais d’année en année de nouveaux enjeux remplacent les anciens, c’est sans fin », plaisante-t-il. Un nouveau front s’est ouvert récemment autour de la forêt de Rohanne, où le militant aguerri emmène son groupe. Avec son statut de forêt départementale, sa gestion devrait être confiée à l’Office national des forêts. Hors de question pour les zadistes, tant le bois de cette forêt est devenu une ressource commune et stratégique pour se chauffer et projeter de nouvelles constructions.

Les feuilles des arbres filtrent les gouttes d’une fine averse et Martin poursuit avec l’historique de la lutte. Chaque date est détaillée minutieusement : les premiers tracés de la zone d’aménagement différé dans les années 1970, le premier appel à occuper le bocage en 2008, l’opération d’expulsion « César », tenue en échec en 2012… Jusqu’aux grandes expulsions du printemps 2018, trois mois après l’abandon du projet. Au premier coup d’œil, un observateur à la critique facile pourrait voir dans ces balades une sorte de muséification de la ZAD. Elles tendent davantage à transmettre un savoir de lutte. L’habitant aborde les différentes tendances et les conflits qui ont dessiné la lutte pour la ZAD et continuent de la façonner. « Mais les clivages s’effaçaient lors des manifestations », tempère Martin. Surtout, les occupants avaient surmonté une question qui paralyse encore régulièrement le milieu militant, celui de la violence. « Le mouvement a assumé qu’être en lutte supposait de ne pas ériger le pacifisme comme une règle d’or. C’était une de nos forces », affirme-t-il impassible devant une assistance aux airs de classe attentive.

La question de la violence ne se pose plus pour l’instant, les affrontements entre zadistes et forces de l’ordre ont pris fin. Sauf à de rares occasions, où la force d’État s’exprime lors d’opérations coups de poing, sans réactions d’ampleur de l’autre camp. La dernière date de mi-juillet, quand des escadrons de gendarmes mobiles ont été mobilisés pour détruire des cabanes construites peu de temps avant. Cette menace pèse sur tous les occupants illégaux qui ne souhaitent pas se régulariser auprès de la préfecture. Depuis avril 2018, les squatteurs sont sommés de déposer des projets « individuels » pour justifier leur maintien sur les espaces occupés.

Le combat continue de cette manière dans le bocage nantais. Une lutte de basse intensité, où la préfecture tente de faire entrer la ZAD dans des cases administratives trop étroites. Les occupants, eux, continuent de cultiver la terre et une autre manière d’habiter collectivement un territoire. Un bras de fer discret – mais pas moins intense – pour rester subversif. À l’extrême est de la ZAD, les habitants de la Noë Verte se démènent pour ne pas se couler dans le moule. Le lieu, occupé depuis 2015 par une poignée de Nantais, accueille la Bocalerie, une conserverie. Devant une bâtisse des années 1970, l’ossature d’un hangar en devenir sort timidement de terre. Grâce à une campagne de dons, le collectif de la Noë Verte le finalisera en septembre lors d’un chantier participatif ouvert à tous. La construction abritera un nouveau labo de transformation alimentaire et une grande salle pour organiser des événements politiques, mais aussi de grandes fêtes.

« L’aspect festif est important pour nous », insiste Lucie*, occupante du lieu, comme pour rappeler que la lutte ne doit pas devenir un chemin de croix. Et à écouter les squatteurs de la Noë Verte, ça ressemble parfois à un jeu. Une cloche annonce le déjeuner : enfants et adultes s’attablent devant un festin. Tous discutent du festival Zadenvies, organisé ce week-end à la suite des Rencontres intergalactiques. L’événement reste politique mais s’annonce bien plus léger.

Un trentenaire à la tignasse de surfeur s’attable. Lui n’a pas eu le temps de participer aux discussions de la semaine, il a passé son temps dans la paperasse pour trouver une faille et remettre en cause le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI). Depuis l’abandon de l’aéroport, un nouveau plan de la zone a été voté, avec pour effet d’empêcher la régularisation d’anciens lieux ou la construction de nouveaux s’ils n’ont pas de vocation agricole. « L’action directe et le squat tendent à être remplacés par une lutte plus syndicale et d’autodéfense administrative », confirme David*, un brun en débardeur occupé à aider une camarade à extraire du miel produit à la Noë Verte.

Lucie regrette d’avoir été contrainte d’entrer dans la danse de la préfecture pour préserver ce lieu de vie. « D’une certaine manière, ils ont réussi leur coup », admet-elle à demi-mot avant de relativiser l’individualisation voulue par l’État : « Je ne considère pas que j’habite dans “ma” maison, mais toujours dans celle du mouvement. » Comme chez beaucoup d’autres zadistes, les critiques viennent toujours en premier… pour finalement s’éclipser devant l’ampleur des victoires du mouvement – une force rare dans le milieu militant, -souvent -traversé par la morosité des nombreuses défaites. Pour l’occupante de la Noë Verte, la réussite du projet participera au renforcement des luttes locales. « La Bocalerie va devenir un outil commun disponible pour qui le veut et participer à l’autonomie alimentaire des habitants de la ZAD, mais aussi des luttes alentour », explique-t-elle. Grâce à la synergie entre la production de légumes du collectif Sème ta ZAD et la Cagette des terres – réseau de ravitaillement des luttes à Nantes – de l’aide est fournie aux piquets de grève.

Au festival Zadenvies, qui a brassé plusieurs milliers de visiteurs, davantage d’habitants permanents viennent profiter des discussions. Une poignée d’entre eux présentent les dernières avancées de la lutte pour récupérer les terres. Paradoxalement, c’est bien l’accès à la propriété qui pourrait libérer les zadistes de l’emprise de l’État. Mais, s’ils ont réussi à réunir 850 000 euros de 2 500 contributeurs dans un fonds de dotation, le camp adverse refuse de céder le moindre lopin de terre ou la moindre habitation. Une autre guerre d’usure qui s’ajoute aux autres. L’État refuse d’aboutir à un bail emphytéotique de très longue durée. « Ils ne veulent pas d’un deuxième Larzac », avance Martin, le guide, avant d’ajouter : « Pas au cœur de la métropole, ça serait trop subversif. » Mais qui cédera en premier ? Toni a tout appris du travail de la terre sur la ZAD, à partir de 2012. « J’étais venue pour ça », assure la jeune paysanne. Négocier des baux précaires sur des poignées d’années n’entre pas dans ses calculs. « Dans vingt ans, je serai toujours là et je serai à la moitié de ma vie. Je ne partirai pas », conclut-elle dans un mouvement de tête, le regard sûr et une moue désolée sur le visage.

  • Le prénom a été changé.

Écologie
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