« Ondine », de Christian Petzold : Eau profonde
Avec Ondine, Christian Petzold reprend et actualise la légende de la nymphe et signe un film d’une remarquable grâce poétique.
dans l’hebdo N° 1620 Acheter ce numéro
Dans le musée historique de la capitale allemande où Ondine Wibeau (Paula Beer) propose des visites guidées, celle-ci explique que les origines de Berlin datent du XIIIe siècle. Le nom de la ville signifie « marais asséchés ». Or l’eau est au cœur de la légende d’Ondine, qui a inspiré Christian Petzold, l’un des plus fameux représentants de la nouvelle génération de cinéastes allemands. Il n’y a pas forcément de sens caché dans cette opposition qui contribue surtout à produire un effet poétique, comme plusieurs autres signaux parsemés au long du film.
Si l’on retrouve en effet chez Christian Petzold une inclination pour les atmosphères fantastiques (Yella, 2007), Ondine est moins ancré dans le politique ou le social que ses œuvres précédentes. Le projet consistait avant tout à s’approprier un conte en l’inscrivant dans le monde contemporain. Un conte à plusieurs variantes selon les époques, ce qui permet d’autant plus de libertés. L’Ondine de Petzold tente même d’en détourner le cours traditionnel pour se soustraire à son destin.
L’amour, l’inquiétude, la mort : ce sont les sentiments qui dominent dès les premières séquences. Ondine est à une terrasse de café avec Johannes (Jacob Matschenz), qui l’abandonne pour une autre femme. Mais Ondine refuse et lui lâche cette phrase : « Si tu me quittes, je dois te tuer. » La menace reste en suspens mais octroie à la frêle jeune femme, historienne de l’urbanisme, une aura menaçante.
Puis a lieu l’une des plus belles scènes de cinéma (nous n’ajouterons pas « fantastique » : ce serait juste mais réducteur) vues ces derniers temps. Après la visite guidée que vient de faire Ondine, un homme, Christoph (Franz Rogowski), la rejoint pour lui faire part du plaisir qu’il a eu à l’écouter. S’ensuit une série de collisions de types différents (symboliques ou physiques) alors qu’ils se trouvent à côté d’un immense aquarium, qui explose accidentellement. Ondine et Christoph sont alors recouverts par une vague qui scelle leur avenir. L’eau les submerge autant qu’une passion soudaine en même temps qu’un sort funeste. Il y a ici une imagination formelle et une grâce -faisant songer à celles dont Cocteau a illuminé ses plus grands films (La Belle et la Bête, Orphée…)
Dès lors, deux pôles géographiques se dessinent : la ville (le marais asséché), où Ondine continue à habiter, et un grand lac de barrage (l’eau), où Christoph travaille comme scaphandrier. On pourrait tout aussi bien dire l’air libre d’un côté et les profondeurs aqueuses de l’autre, où les deux nouveaux amoureux plongent de concert, expéditions qui ne sont pas sans réserver des surprises.
Ces deux pôles ne sont pas du tout traités de la même façon. Ondine est surtout filmée en intérieurs. La ville reste abstraite, présente dans les salles du musée historique sous la forme des grandes maquettes illustrant les métamorphoses de Berlin depuis la réunification. Le lac, en revanche, fait partie d’un paysage dont la caméra saisit toute la sensualité, et les longues séquences immergées sont splendides. C’est là que se nouent les destins d’Ondine et de Christoph. L’eau sera à la fois leur désespoir et leur meilleure amie. Ondine ne peut se détacher de sa légende, mais le film de Christian Petzold en célèbre les plus lumineux mystères.
Ondine, Christian Petzold, 1 h 30