Réfugiés : L’Allemagne « y arrive »
Depuis l’incendie du camp de Moria, une partie des politiques et de la société entend venir en aide aux exilés.
dans l’hebdo N° 1620 Acheter ce numéro
Dans la nuit du 8 au 9 septembre, le feu a ravagé l’immense camp de réfugiés de Moria, sur l’île grecque de Lesbos. Entre 12 000 et 13 000 personnes s’y sont retrouvées sans aucun abri, livrées à elles-mêmes. Le soir même, loin de là, à Berlin, plusieurs milliers de personnes ont manifesté pour demander à l’Allemagne d’accueillir ces exilés. Des rassemblements ont eu lieu également dans d’autres villes du pays, à Leipzig, Hambourg, Francfort, Hanovre…
Cela fait des mois, depuis le début de la pandémie de Covid-19, que des organisations de la société civile allemande demandent l’évacuation du camp de Moria. Début mars, le groupe vert au Bundestag, soutenu par le parti de gauche Die Linke, avait déposé une proposition pour l’accueil de 5 000 réfugiés coincés en Grèce. Demande rejetée par la majorité, composée des conservateurs et du Parti social-démocrate (SPD).
Il a fallu le vaste incendie pour que les dirigeants politiques changent de cap. Le ministre conservateur de l’Intérieur, Horst Seehofer, a d’abord annoncé que l’Allemagne offrirait refuge à une centaine d’enfants. Le SPD, qui participe au gouvernement de coalition, a fait pression pour que ce soit plus. De même qu’une poignée de députés de droite. « La priorité n’est pas aujourd’hui de dessiner une politique migratoire européenne commune, mais de soulager une détresse humaine manifeste. Nous demandons que l’Allemagne, si possible avec d’autres pays européens mais seule si nécessaire, accueille 5 000 réfugiés de Grèce », ont-ils écrit à leur ministre.
Les maires d’une quinzaine de grandes villes – Düsseldorf, Cologne, Göttingen, Kaiserslautern, Hanovre… – se sont aussi adressés à la chancelière Angela Merkel dans une lettre ouverte : « Nous sommes prêts à recevoir des personnes de Moria afin de désamorcer la catastrophe humanitaire. Nous sommes consternés que l’Union européenne, malgré de nombreux avertissements, n’ait pas réussi à empêcher cette aggravation de la situation à Moria et que les conditions inhumaines dans les camps situés aux frontières extérieures de l’Europe se poursuivent. Il faut agir enfin. Nous vous demandons, en tant que gouvernement fédéral, de ne plus attendre une solution européenne. » Finalement, le gouvernement s’est engagé à prendre sur son sol quelque 1 550 réfugiés venus de Grèce, des familles. Des élus régionaux, le SPD et la gauche jugent que c’est toujours trop peu. Angela Merkel a déclaré le 14 septembre que cela n’avait « pas de sens aujourd’hui de ne parler que de chiffres ». Elle a aussi soutenu la perspective de la reconstruction d’un « centre d’accueil » à Moria, mais qui serait géré par l’Union européenne.
Le discours de la chancelière n’est plus tout à fait le même qu’il y a cinq ans, à la fin de l’été 2015, quand des centaines de milliers de réfugiés, dont de nombreux Syriens, sont arrivés en Allemagne après avoir traversé la Méditerranée et les Balkans. Angela Merkel avait pris le parti d’ouvrir les frontières quand la plupart des autres pays européens se barricadaient. Ce sont alors les villes et les communes qui ont coordonné l’accueil concret des exilés. Elles qui ont monté les centres d’hébergement, organisé les cours de langue et d’intégration, la prise en charge des enfants non accompagnés et le soutien aux adultes pour les insérer sur le marché du travail. Elles y sont en grande partie parvenues, comme l’avait promis Merkel avec sa phrase devenue célèbre, « Wir schaffen das » (« Nous y arriverons »). Aujourd’hui, des dizaines de villes rappellent qu’elles disposent de centaines de places vides dans leurs centres d’accueil. Des lits disponibles pour les réfugiés de Moria.
Sur le terrain, l’intégration des arrivants d’il y a cinq ans semble avoir pris. En février, une étude concluait que la moitié des réfugiés accueillis avaient aujourd’hui un emploi. Une inclusion qui s’est faite « plus rapidement que pour les réfugiés des années 1990 (Étude de l’Institut sur le marché du travail IAB, avril 2020) »_. Une nouvelle enquête, publiée en août, a mis en avant le fait que la majorité des réfugiés installés en Allemagne depuis 2015 faisaient partie des milieux éduqués dans leur société d’origine : c’est le cas pour trois quarts des Syriens, plus de la moitié des Érythréens, des Afghans et des Irakiens.
À l’occasion de l’« anniversaire » de l’ouverture des frontières, des médias allemands retracent aussi des histoires de vie de demandeurs d’asile devenus des habitants presque comme les autres. Comme cette dentiste de 33 ans, arrivée quasiment sans rien de Syrie et qui exerce aujourd’hui sa profession à Munich. Ou un ancien avocat, lui aussi syrien, devenu conducteur de train à Stuttgart, alors qu’il n’était jamais monté dans un train dans son pays d’origine. Autant de parcours qui viennent confirmer le « nous y arriverons » de 2015 et appuyer le slogan des manifestants de 2020 : _« Nous avons de la place. »
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