Un an après le suicide de Christine Renon, les directeurs d’école se sentent toujours abandonnés
Il y a un an, une directrice d’école de Pantin (Seine-Saint-Denis) mettait fin à ses jours en levant le voile sur les conditions de travail de la profession. Aujourd’hui, rien n’a changé et la crise sanitaire n’a fait qu’aggraver la situation.
A ujourd’hui, samedi, je me suis réveillée épouvantablement fatiguée, épuisée après seulement trois semaines de rentrée », écrit Christine Renon le 23 septembre 2019 dans une lettre, avant de commettre l’irréparable dans le hall de son école maternelle. Par ce geste désespéré, elle mettait en cause ses conditions de travail, le manque de déchargement des directeurs d’école, l’abandon de sa hiérarchie ou encore les réformes incessantes et contradictoires. « Christine Renon, directrice épuisée », seront ses mots d’adieu. Un an plus tard, et trois semaines après la rentrée des classes, la profession n’en démord pas : la colère et l’épuisement restent entiers. « Je m’interroge tous les jours sur la pertinence de garder cette fonction », s’inquiète Catherine Da Silva, directrice d’école en Seine-Saint-Denis.
Un suicide par semaine dans l’Éducation nationale
Durant l’année scolaire 2018-2019, 58 agents de l’Éducation nationale ont mis fin à leurs jours selon les chiffres du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) lors d’une réunion exceptionnelle qui s’est tenue en novembre 2019, un mois et demi après le suicide de Christine Renon. Un chiffre alarmant qui tire la sonnette d’alarme sur la détresse de la profession. C’est pour dénoncer l’abandon des pouvoirs publics, et en hommage à Christine Renon, que plusieurs syndicats enseignants du Rhône (CGT Éduc’Action, CNT, Éducation Sud Solidaire) se sont rassemblés le 23 septembre dernier devant les grilles du rectorat de Lyon. « Le chiffre d’un suicide par semaine dans l’Éducation nationale nous a montré à tous que la maltraitance que nous inflige notre institution est loin d’être un fantasme et qu’elle tue », expliquent-ils dans un communiqué.
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Au moment des faits, l’inspection générale de l’Éducation nationale avait pointé plusieurs dysfonctionnements. Selon le SNUipp 93, syndicat majoritaire dans l’enseignement primaire, la responsabilité de l’administration avait finalement été reconnue en janvier: le rapport de l’enquête pointait notamment « le sentiment qui s’exprime localement, d’une dégradation de la qualité du corps enseignant ». À Pantin, où travaillait Christine Renon, 28,5% des enseignants ont demandé leur mutation en 2019. Les choses ont-elles changé depuis ? « Hélas non », explique Catherine Da Silva.
Pas de déchargement des tâches
Christine Renon les appelait « ces petits riens », ces tâches administratives, ces petites demandes, ces consignes qui, cumulées, « occupent 200% de notre journée » et détournent ainsi les directeurs et directrices d’école du cœur de leur métier. « Ils et elles sont particulièrement exposé·es, seul·es pour apprécier les situations, seul·es pour les traiter. Et on leur demande de plus en plus sans jamais les protéger », avait écrit la directrice. Les syndicats réclament pourtant le déchargement des tâches pour toute la profession. « On demandait par exemple à ce que le directeur d’école soit aidé par quelqu’un », explique Nicolas Glière, enseignant à Paris et figure des stylos rouges. En réponse à cela, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a annoncé la création de 12 500 services civiques pour aider les directeurs d’école dans leurs tâches administratives.
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Pourtant, dans les faits, rien ne change. « On perd de plus en plus de moyens qui nous permettent d’assurer un service public d’éducation digne de ce nom pour les enfants. Tout s’est dégradé, on ne peut plus remplir nos missions », s’émeut Catherine Da Silva. Au final, à l’image de Christine Renon, c’est une situation difficile à vivre pour l’ensemble de la profession. Catherine Da Silva, pointant l’abandon de l’État, conclut :
Quand on est directeur d’école, on a l’angoisse des parents, l’angoisse des collègues et notre propre angoisse à gérer. On ne peut pas avoir de réponses parce que là-haut personne ne les a et qu’il n’y a pas de cohérence dans ce qu’ils sont en train de faire.
Une gestion « lamentable » de la crise sanitaire
À la rentrée, le ministère de l’Éducation nationale a annoncé le versement d’une prime de 450 euros aux directeurs et directrices d’école, alors que la profession demandait une revalorisation salariale. « Une prime pour nous réduire au silence », selon Catherine Da Silva. « C’est une façon de nous acheter et de nous dire de continuer comme cela », explique-t-elle. Olivier Véran, ministre de la Santé, a également annoncé que si un élève est positif au Covid-19, il doit désormais rester à son domicile et cela ne déclenche plus de fermeture d’école ou de classe. Une solution inadaptée pour Maxime, enseignant à Lyon et membre CGT Éduc’Action 69, qui pointe la double charge de travail pour les enseignants, en présentiel et en distanciel. « On ne pourra pas gérer cela massivement », dénote-t-il. Les enseignants ne sont également plus considérés comme des cas contacts.
Selon les syndicats, la gestion de la crise sanitaire dans l’Éducation nationale est un leurre. Le 22 septembre, Olivier Véran a annoncé la fermeture des bars et salles de sport dans les zones où le Covid-19 est particulièrement actif. Les écoles font pourtant figure d’exception. Nicolas Glière pointe une gestion « lamentable » de la crise et une « mise en danger de la vie d’autrui ». Selon lui, tous les établissements scolaires sont des clusters. Il s’insurge :
Vous avez 1 000 ados sans masque à la cantine, des salles avec 30 ou 40 élèves collés les uns aux autres ou encore des sanitaires dégradés.
Les enseignants ont par ailleurs été dotés de masques de la marque Dim. « Des masques qui ne nous protègent pas car ils ne sont pas approuvés par les instances de santé », s’accordent à dire Maxime et Nicolas. Au final, tous pointent une situation difficile qui s’est aggravée avec la crise sanitaire. C’est justement en mémoire de Christine Renon et pour faire entendre la colère de la profession qu’une marche a été organisée ce samedi 26 septembre, à Pantin, à l’initiative du collectif Christine Renon.
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