Vincenzo Vecchi : Des juges français face à l’arbitraire italien
La France livrera-t-elle Vincenzo Vecchi à l’Italie ? Ce 2 octobre, le participant au contre-sommet de Gênes en 2001 se défend devant la cour d’appel d’Angers.
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Retour à la case départ. Après plus d’une année de lutte pour sa liberté, l’Italien Vincenzo Vecchi doit de nouveau se présenter devant la justice française. Le 2 octobre, la cour d’appel d’Angers doit décider de livrer ou non cet ancien militant anticapitaliste à la justice de son pays. Tout dans ce dossier donne à voir l’arbitraire du système judiciaire italien, rancunier et vengeur à l’égard des participants au contre-sommet de Gênes de 2001. Vincenzo Vecchi n’a jamais été condamné pour ce qu’il a fait, mais pour ce qu’il est, ce qu’il représente. Une page noire de l’histoire contemporaine de l’Italie, où l’État par deux fois s’est vu condamné pour actes de torture de policiers sur des manifestants.
Réfugié depuis mars 2011 à Rochefort-en-Terre, petit village du Morbihan, « Vincent » a été arrêté par la police française le 8 août 2019. Deux mandats d’arrêt européens émis par l’Italie exigeaient l’arrestation de ce quadragénaire, condamné pour des faits commis lors de deux manifestations. Un des mandats s’appuie sur une condamnation à quatre ans de prison pour sa participation à un cortège antifasciste à Milan en 2006. Un autre – plus grave encore – pour le délit de « pillage et dévastation » lors du contre-sommet du G8 à Gênes en 2001. Ce chef d’accusation issu du « code Rocco (1) » permet de condamner une personne pour « concours moral ». Autrement dit, pour sa simple présence sur les lieux de dégradations et de vols massifs et systématiques, Vecchi risque une peine de douze ans et six mois d’emprisonnement.
Après un jugement de première instance défavorable, sa défense avait obtenu gain de cause en appel à Rennes le 15 novembre 2019. Une demande d’information complémentaire à la justice italienne avait permis de se rendre compte de la caducité du mandat d’arrêt de Milan. Et pour cause : les autorités italiennes n’avaient pas jugé utile d’indiquer que Vincenzo Vecchi avait déjà effectué sa peine. Las, ce jugement en appel a été cassé par la Cour de cassation un mois plus tard, le 18 décembre 2019.
L’incurie de la justice transalpine était en réalité une manœuvre déloyale. « Ils ne s’en sont pas cachés, pointe Laurence Petit, du comité de soutien à Vincenzo. L’Italie a émis ce mandat d’arrêt caduc pour que la justice française “se fasse une idée de qui est Vincenzo Vecchi”. » Sous-entendu un « individu dangereux ». Tout repose désormais sur le mandat de Gênes et sur la construction de ce « personnage », associé à un délit aussi flou que fourre-tout.
Laurence Petit commente les pièces du dossier, déjà vues et revues. Elle s’attarde sur une photo d’une voiture en feu à Gênes, où Vincenzo apparaît. Elle lit le commentaire d’un juge italien : « La présence en premier plan au spectacle de l’incendie d’une voiture est un comportement décidément incompatible avec quelqu’un qui ne serait là que par simple curiosité, et désigne quelqu’un qui est là pour concourir au délit. » Une autre photo le montre avec une bière. Les magistrats italiens concluent : cette canette provient forcément d’un pillage auquel Vincenzo aurait participé. Mais aucune preuve ne vient étayer ce postulat. « D’abord ils dépeignent la violence des événements de Gênes, ils construisent la supposée dangerosité d’un individu, pour ensuite s’autoriser à faire des connexions entre ces deux constats », accuse Laurence Petit.
La peine de Vincenzo Vecchi paraît encore plus injuste au regard de l’évolution de la jurisprudence. En 2014 – deux ans après la condamnation définitive du manifestant –, la Cour de cassation italienne a considérablement raboté le champ du délit de pillage et de dévastation. En plus d’un contexte de destruction et de vols de grande ampleur, il faut désormais prouver un concours aux exactions. Cet arrêt concernait la participation d’un manifestant au « cortège des indignés » à Rome, le 15 octobre 2011. Sur des photos, le jeune homme se trouvait près d’un fourgon de carabiniers en feu. Les magistrats ont jugé insuffisant l’acte de jeter des projectiles sur le véhicule déjà en proie aux flammes.
Refuser d’appliquer un mandat d’arrêt européen à propos de ce délit ne serait pas une première non plus. En 2016, la cour d’appel d’Athènes a refusé de livrer un Grec à la justice italienne. Le militant avait participé aux manifestations contre la tenue de l’Exposition universelle à Milan en 2015. Les juges avaient fondé leur refus sur l’absence de délit équivalent dans la loi grecque et l’absence de responsabilité collective dans leur système pénal. Un raisonnement applicable au droit français. Face à un dossier dépourvu de faits matériels imputables à Vincenzo Vecchi, la réponse des juges français devrait être nette, précise et sans ambiguïté.
(1) Code pénal adopté sous le fascisme en 1930 et toujours en vigueur.