Vous avez dit « censure » ?
Sur les plateaux, il n’y a personne pour contredire ces pitres proférant qu’un libelle raciste n’est pas raciste.
dans l’hebdo N° 1618 Acheter ce numéro
La semaine dernière, je suis allé faire un petit tour, via le Net (1), sur quelques chaînes abusivement dites « d’information » en continu (CADD’« I »EC). Non par plaisir, évidemment : je sais très bien que ce sont des endroits ultraflippants, où on tombe sur des talk-shows pourris à chaque coin de tranche horaire.
Mais je voulais vérifier la véracité de l’affirmation, formulée tout récemment par la patronne d’un mensuel réactionnaire rompue de très longue date à l’art tout orwellien de redire toutes les deux heures devant de vastes publics qu’on-ne-peut-plus-rien-dire publiquement, selon laquelle ce qu’elle appelle « nos libertés » (c’est-à-dire, principalement, la possibilité, pour elle-même et pour les autres paradistes de l’éditocratie réac, qui court de Finkielkraut à Zemmour en passant par Onfray [2], de proférer des insanités sans être contredit·es trop vertement) seraient, ces temps-ci, sévèrement « menacées », en particulier par, je cite, la « cancel culture », cette « culture du lynchage, pratiquée à grande échelle par des antiracistes obsédés par la race et par des féministes obsédées par les places (3) ».
Et bien sûr, j’étais de parti pris : je (pré)supposais que cette affirmation était fausse, comme (presque) toujours avec ces gens-là – qui entretiennent avec la réalité une relation, disons, ductile.
Or elle ne l’était qu’à moitié. Car je suis, comme prévu, tombé partout, durant ma courte immersion dans l’univers des CADD’« I »EC, sur des baratineurs qui tous se plaignaient, à des heures de grande écoute et devant des millions de téléspectateurs et téléspectatrices, d’être peu ou prou soumis au régime d’une nouvelle censure – et je dois dire que, dans cet audacieux exercice (4), Michel Onfray s’est montré meilleur encore que MM. Finkielkraut et Zemmour, qui récitaient aux mêmes heures, mais sur d’autres chaînes, le même grotesque rabâchage, exactement.
Mais ce qui m’a réellement frappé, dans ces exhibitions, c’est qu’il n’y a strictement personne, sur les plateaux où ils plastronnent seuls (5), pour contredire ces méchants pitres, lorsque par exemple ils profèrent, d’une seule et même voix, que non, voyons, pas du tout : l’immonde libelle raciste où le magazine Valeurs actuelles a emboué Danièle Obono n’était pas du tout raciste – alors quoi, on-peut-plus-rien-dire ?
De sorte que j’ai bien dû m’avouer in petto que la bosse du mensuel réactionnaire n’avait pas complètement tort, puisqu’en effet une censure est à l’œuvre dans l’époque : celle des voix, désormais jugées trop discordantes par les marchand·es de haine, qui vont encore trop frontalement contre son extrême droitisation.
(1) Je n’ai plus la télé depuis tant d’années que je ne les compte plus : j’ai arrêté (sans patchs) le jour où j’ai enfin réalisé que rien ne m’obligeait vraiment à m’infliger les JT de Pujadas (entre autres).
(2) Et quelques autres clones de seconde catégorie.
(3) Ne ris pas, s’il te plaît, ce n’est pas très gentil : ces gens écrivent vraiment ce genre de trucs.
(4) Comme dans beaucoup d’autres, d’ailleurs, où la même insensibilité absolue au ridicule est requise.
(5) Ou servis par des passe-plats.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.