Darmanin : amalgame et stigmatisation
En voulant dissoudre le CCIF, le ministre de l’Intérieur sabote les liens déjà difficiles entre l’État français et les musulmans.
dans l’hebdo N° 1624 Acheter ce numéro
Fin septembre 2019, après ses propos xénophobes à la Convention « La Droite », organisée par Marion Maréchal, Éric Zemmour est poursuivi par le parquet pour « injures publiques » et « provocation publique à la discrimination, la haine ou la violence » raciales. Un certain nombre d’associations se portent alors parties civiles au procès, dont le Mrap, la Ligue des droits de l’Homme (LDH), la Maison des potes, la Licra, l’Union des étudiants juifs de France et… le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). À aucun moment, le parquet n’a, dans son réquisitoire contre le prévenu, contesté la présence et la requête d’aucun des plaignants. Le 25 septembre 2020, Zemmour est condamné à 10 000 euros d’amende et à verser 3 000 euros à chacune des parties civiles. Dont le CCIF.
Moins d’un mois plus tard, au lendemain de l’odieux attentat contre Samuel Paty, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, exprime sa volonté de dissoudre le CCIF, pour son supposé « islamisme radical », le considérant comme une « association ennemie de la République ». Le ministre tente de justifier sa campagne (pour le moins bancale) contre le CCIF, parce que le père d’une élève du professeur assassiné, qui jugeait son cours sur la liberté d’expression « islamophobe » – il a été placé depuis en garde à vue –, avait appelé à saisir le CCIF.
Or, quelles qu’aient été les volontés de ce père de famille, les accusations du ministre semblent bien faibles juridiquement à l’encontre du CCIF. On peut en effet à bon droit s’interroger sur le fondement du « souhait » ministériel de dissoudre cette association, dont l’essentiel de l’activité militante consiste à recenser les actes et propos discriminatoires à l’encontre des musulmans, pour ensuite assister les victimes dans leurs démarches judiciaires.
Malik Salemkour s’étonne ainsi de la démarche accusatrice du ministre de l’Intérieur. Le président de la LDH, rappelant les divergences avec le CCIF sur plusieurs sujets, tient toutefois à souligner la conduite « raisonnable » des adhérents du Comité, qui ne sauraient passer pour « infréquentables, en dépit des allégations de Gérald Darmanin ». « Même si on peut avoir de profonds désaccords avec eux, comme avec beaucoup d’autres associations confessionnelles, qu’elles soient catholiques, protestantes ou juives, ils ne se situent pas en dehors de la République. Ou bien M. Darmanin a des éléments juridiques sérieux et il doit alors les rendre publics ; ou bien il s’exprime à chaud avec un simple faisceau d’impressions et, juridiquement, cela ne veut rien dire ! »
Militante antiraciste, dirigeante de l’association Action droits des musulmans, Sihem Zine s’interroge sur cette volonté du ministre Darmanin et fait part de sa vive « inquiétude pour la communauté musulmane, mais aussi pour la France tout entière ». En effet, selon elle, « le CCIF devient un symbole de la discrimination des musulmans par l’État, puisque cette dissolution ne repose sur aucun fondement juridique, alors qu’il promeut le dialogue au sein de la société civile, et en s’attaquant à lui, comme à d’autres organisations qui font le lien entre la population et les responsables institutionnels, on risque de se priver d’intermédiaires essentiels et de susciter davantage encore d’extrémismes. Cette dissolution risque en outre d’être ressentie comme une punition collective contre les musulmans ».
Car le CCIF est une des quelques organisations dans lesquelles ont une vraie confiance les musulmans de France. La menace ministérielle ne peut que sembler une énième attaque à l’encontre de cette population trop souvent précarisée et invectivée au sein de la société française. Si Michel Tubiana ne souhaite pas s’exprimer sur les qualités – ou les défauts – du CCIF – « car ce n’est pas le moment » –, le président d’honneur de la LDH rappelle que « la seule question qui se pose dans cette affaire concerne la liberté d’association : le ministre de l’Intérieur a livré en pâture des noms, mais pour dissoudre une association, il faut un dossier solide. Je n’en devine aujourd’hui aucun dans les déclarations de Gérald Darmanin ! » La loi dispose en effet qu’une dissolution d’association doit se fonder sur un discours de haine ou favorisant le terrorisme que celle-ci véhiculerait. « Je ne vois rien de tout cela à ce jour, sauf si le ministre n’a pas tout dit ; en tous les cas, le fait d’avoir vu le CCIF dans un message sur un réseau social ne saurait être suffisant… »