EELV/LFI : Deux programmes « frères »

Sur le socle de leurs projets de société, Europe Écologie-Les Verts et La France insoumise pourraient s’entendre à merveille. Tour d’horizon des convergences et des nuances.

Agathe Mercante  • 14 octobre 2020 abonné·es
EELV/LFI : Deux programmes « frères »
À l’université d’été de La France insoumise, le 21 août 2020.
© Nicolas Guyonnet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Qui, chez Europe Écologie-Les Verts ou à La France insoumise, pourrait nier leur aspiration mutuelle à concilier justice sociale et environnementale ? Qui pourrait remettre en question leur volonté commune d’accueil, de protection des plus faibles ? Personne. Mais ceux qui voudraient les rapprocher et les inciter à présenter un programme commun dans la perspective de 2022 ont encore du pain sur la planche ! Car en matière d’histoire, de philosophie politique, de conception de l’État, et même de culture partisane, EELV et LFI se distinguent nettement. Ces différences s’expriment dans leurs programmes respectifs : l’Avenir en commun et ses nombreux livrets thématiques pour les insoumis, le projet Bien vivre pour les Verts. Si sur certains autres sujets leur convergence est totale – l’Avenir en commun propose l’abolition du patriarcat, vieux combat des Verts –, sur d’autres ils peuvent être aux antipodes – leur vision de l’Union européenne. Nous avons choisi d’analyser leur compatibilité (par une note où 5/5 signifierait une identité totale) sur cinq grands thèmes majeurs qui résument le mieux leur projet de société. Pour constater que, sur ce socle, ils sont très proches.

Travail et salariat : 4,5/5

La proximité ne date pas d’hier : déjà côte à côte en 2015 contre la loi El Khomri, ils défilaient encore ensemble en 2018 contre la réforme du code du travail par ordonnances. EELV propose de réformer et d’apporter plus de démocratie dans l’entreprise : participation accrue des salariés aux décisions de la direction, restauration de la légitimité syndicale ou encore renforcement des pouvoirs des institutions représentatives. LFI, elle, met en avant la création d’un droit de veto suspensif des comités d’entreprise pour lutter contre les licenciements économiques. En matière de salaires, les insoumis plaident pour une limitation de 1 à 20 de l’écart maximal entre le salaire le plus bas et le salaire le plus haut dans chaque entreprise. L’Avenir en commun propose en sus de créer une sécurité sociale intégrale pour les travailleurs, d’imposer aux entreprises des quotas sur les contrats précaires, de lutter contre le recours aux temps partiels et érige l’État au rang d’« employeur en dernier ressort ». Les deux programmes se rejoignent sur la réduction du temps de travail : 32 heures par semaine pour EELV, 35 heures effectives avec une possibilité d’évolution à 32 heures pour LFI, qui propose aussi une sixième semaine de congés payés et d’augmenter de 15 % le Smic. Chez EELV, c’est la création d’un revenu d’existence inconditionnel, universel, permanent, individuel et inaliénable qui est évoquée. Quant à l’âge de la retraite, ils sont synchrones : 60 ans !

Santé publique : 4,5/5

« Élaborer un plan de santé environnementale », pour les uns, « grand plan national d’analyse et de recherche en santé et environnement » pour les autres. Ici encore, les propositions vont dans le même sens. Pour EELV, par exemple, il faut une meilleure couverture des frais dentaires et oculaires et une augmentation de la part de l’assurance maladie dans le financement des soins. LFI, qui préconise de rembourser ces frais à 100 % sous réserve qu’ils aient été prescrits, souhaite que la gratuité s’étende « aux appareils dentaires, aux lunettes et aux appareils auditifs ». Tous deux ont fait de la disparition des déserts médicaux une priorité. LFI promet « l’abolition » des dépassements d’honoraires. Plus mesuré mais pas moins d’accord, EELV prévoit de conditionner les aides à l’installation des médecins « au respect du conventionnement secteur 1 ». Pour l’hôpital, le parti de Jean-Luc Mélenchon voit plus loin et propose de reconstruire un service public hospitalier en supprimant la tarification à l’acte et en embauchant massivement du personnel soignant et administratif. Les deux programmes se rejoignent sur la légalisation du cannabis pour les personnes majeures. Et comme on ne peut pas être d’accord sur tout, EELV propose que l’État assure le contrôle qualité et la vente des produits tandis que La France insoumise envisage, elle, que la France assure aussi la production.

Économie, entreprise, production : 4/5

Que l’on parle de « relocalisation » dans le projet Bien vivre ou de « produire en France », le ton est donné. Les insoumis défendent le « protectionnisme solidaire », tandis que les Verts proposent une gestion financière régionale des entreprises implantées sur les territoires. Les deux partis souhaitent que l’État contribue pleinement au financement de la recherche et de l’innovation. Dans le cas de LFI, cette contribution fait même partie de son « plan de relance de l’activité et de l’emploi au service de la transition écologique » de 100 milliards d’euros. Sur l’achat public, ils s’accordent sur une réforme de fond : EELV plaide pour un meilleur découpage des appels d’offres et fait la promotion des GIE (groupements d’intérêt économique, pour permettre aux petites entreprises de s’allier). LFI, elle, propose un moratoire sur les partenariats public-privé. Tous deux affichent une sérieuse préoccupation pour les entreprises de petite taille et les travailleurs indépendants. Les TPE-PME bénéficieraient d’une fiscalité douce dans le cadre d’une refonte générale de l’impôt sur les sociétés pour les insoumis, tandis que les Verts plaident pour un élargissement des droits sociaux des travailleurs indépendants.

Ressources naturelles et bien-être animal : 3/5

Très investie sur la question, LFI plaide pour inscrire l’accès à l’eau et à l’assainissement comme un droit fondamental dans la Constitution. Cette proposition déboucherait sur la gratuité des premiers mètres cubes d’eau, ceux nécessaires « à une vie digne ». La « règle verte » (lire ci-après) s’appliquerait aux contrats d’eau. Tout comme LFI, EELV prévoit d’instaurer « une règle de protection des communs environnementaux dans la Constitution et les traités européens » et propose de dégager un budget dévolu à la protection et à la restauration de la nature et de l’intégrer en amont de toutes les politiques publiques (un peu comme la règle verte). Là où les insoumis annoncent, au sujet de la souffrance animale, vouloir réduire les protéines carnées et éradiquer la maltraitance animale, les Verts plaident, eux, pour la création d’un secrétariat d’État à la Condition animale et d’une agence nationale chargée d’étudier les alternatives en vue, à terme, de supprimer le recours à l’exploitation animale.

La VIe République : 2/5

Si les deux programmes annoncent une VIe République, la ressemblance ne va guère plus loin. Les uns la souhaitent parlementaire se fondant sur les travaux d’une Assemblée constituante (LFI) ; les autres la veulent fédéraliste (EELV). Les Verts veulent augmenter les compétences des régions et supprimer les conseils départementaux ; les intercommunalités deviendraient des collectivités de plein exercice ; la séparation des pouvoirs serait plus stricte, avec le président de la République qui en serait le garant et l’arbitre ; l’institution la plus touchée serait le Sénat, qui deviendrait une « chambre des régions » et le gardien du principe de subsidiarité. Une différence de taille avec LFI, qui souhaite supprimer la chambre haute du Parlement et le Conseil économique social et environnemental (CESE), pour les remplacer par une assemblée « de l’intervention populaire et de long terme ». Petit point d’accord : instaurer une part importante de proportionnelle dans les élections. LFI, en revanche, va plus avant dans les modifications constitutionnelles : les « privilèges » seront supprimés. En clair, l’entrée du Parlement serait interdite aux lobbys et tout élu condamné pour corruption serait inéligible à vie. Le référendum révocatoire serait appliqué, ainsi que le référendum d’initiative citoyenne (RIC). Autre convergence : le droit de vote des résidents étrangers aux élections locales. Cheval de bataille des insoumis, la « règle verte », qui prévoit que « l’on ne peut pas prélever sur la nature davantage qu’elle ne peut reconstituer ni produire plus que ce qu’elle peut supporter », serait consacrée dans la Constitution.

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