HK : « La crise nous conforte dans nos combats des dix dernières années »
Kaddour Hadadi, alias HK, évoque la genèse de son nouvel album avec les Saltimbanks, qui résonne particulièrement avec l’actualité du « monde d’après ».
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Il est bavard, HK. Bavard comme un artiste qui n’est guère invité dans les médias traditionnels, mais qui a beaucoup de choses à dire. Qu’il exprime en chansons. « On lâche rien », l’hymne des manifs françaises depuis 2011, c’est lui. Depuis, avec ses copains des Saltimbanks, il n’a pas chômé. Petite Terre, sorti le 18 septembre, est le septième album en moins de dix ans. Le chanteur a également profité du confinement pour écrire son quatrième roman, Sans haine, sans armes, sans violence, paru le 7 octobre aux éditions Riveneuve. Dans tous ses projets, la même humanité, la même envie de renouveau…
Comment vivez-vous cette année si particulière ?
HK : Nous sommes toutes et tous logés à la même enseigne. Nous essayons de continuer à exercer notre métier. Cette période est particulièrement frustrante parce qu’il y a tellement de choses à exprimer artistiquement – encore plus en tant qu’artiste engagé – mais nous sommes privés des moments de partage avec les gens. Malgré la crise, nous avons tenu à finir cet album pendant le confinement. Il y a des chansons qui résonnent encore plus dans ce « monde d’après », qui est en fait le « monde d’avec », puisqu’on va devoir vivre encore un peu avec ce virus. Nous avons décidé d’être fidèles à nous-mêmes et de proposer un apport artistique et engagé à l’époque.
Quand la construction de l’album a-t-elle commencé ?
Elle a commencé à l’automne dernier dans un studio en Bretagne. Nous avons fait les premières sessions d’enregistrement, il nous restait l’habillage mélodique, puis le confinement est arrivé. Chacun, avec le matériel dont il disposait chez lui, s’est enregistré dans des conditions parfois un peu baroques, dans des petits appartements, avec des enfants. Mais nous l’avons fait, et nous sommes fiers du résultat.
L’album est nourri de cette période de confinement. En quoi a-t-elle modifié le projet initial ?
Deux chansons ont été écrites de A à Z pendant le confinement. « Pour les autres», avec laquelle nous voulions, nous aussi, apporter notre soutien aux soignantes et aux soignants, et au-delà dire que les soutenir c’est leur donner les moyens de se protéger, la reconnaissance, de meilleurs salaires… Les besoins vitaux de notre société sont garantis par les plus précaires. Des gens qui, six mois avant le Covid-19, manifestaient et recevaient comme seule réponse des jets de gaz lacrymogène. C’est une chanson très douce et, pourtant, c’est un cri du cœur. La deuxième chanson, « Les joyeux faucheurs », a été écrite pour la mobilisation des Faucheurs volontaires lors de la journée mondiale contre Monsanto, en mai, juste après le confinement. C’était une manière de dire que les combats, qui avaient continué depuis chez nous, reprenaient sur le terrain. Et d’autres morceaux de l’album résonnent avec l’actualité, comme « La fin du moi, le début du nous ». Elle aurait pu être écrite pendant le confinement.
La France est omniprésente dans les textes de votre album. Pourquoi ?
On a voulu faire un album qui va de l’Occitanie au Pays basque, de Roubaix à Bergerac… Ce voyage à l’intérieur de la France, c’est comme quand, petit, je me baladais dans mon quartier à Roubaix. On y découvre des cultures, des traditions, qui sont le fruit de voyages, de migrations, de mélanges. Nous sommes le fruit de cette histoire-là. C’est ce que raconte la chanson « Berbère ou Breton ». Dans la musique kabyle, on retrouve des rythmes et des mélodies identiques à ceux de la musique bretonne. Il y a eu des migrations et des échanges pendant des millénaires, et on ne sait plus trop in fine si nos ancêtres venaient d’Afrique du Nord ou d’Europe du Nord. C’est une manière de répondre à tous ces chroniqueurs, ces irresponsables politiques, ces soi-disant penseurs qui nous incitent à avoir peur de notre voisin, alimentent la haine et sont mis en avant dans les médias.
Cette rentrée médiatique est particulièrement extrême, non ?
C’est toujours la même petite musique. Nous sommes deux ans avant l’élection présidentielle et nous connaissons les sujets qui vont dominer. Ce qui m’étonne, c’est que nous laissions jouer cette musique-là. Nous savons à quoi ça va aboutir. Marine Le Pen – ou sa nièce – sera au second tour, et on nous fera voter par défaut. C’est un cirque sans fin. La seule question que je me pose, c’est : comment peut-on casser ce schéma imposé ? Moi, j’ai la chance de créer mes chansons, ce qui m’évite de me placer en réaction. J’aime bien ce slogan de Mai 68 qui dit que « l’action ne doit pas être une réaction mais une création ». Je crois que nous aurons gagné quand nous serons arrivés à nous libérer de ce schéma nauséabond qui nous pousse à commenter la petite phrase d’untel ou untel. C’est en relayant leur parole que nous leur donnons du pouvoir ou du crédit. Et pendant ce temps-là, nous perdons du temps pour créer des choses.
À Roubaix, dans mon quartier, on passait du ch’ti au portugais puis à l’italien, et on se sentait tous frères et sœurs. C’est la réalité de millions de personnes dans ce pays. Ces choses positives existent, ce n’est pas quelque chose à inventer. Tandis que la paranoïa médiatique, c’est quelque chose de totalement imaginaire !
Êtes-vous optimiste pour le « monde d’après » ?
Je suis un optimiste exigeant. Je crois en l’intelligence collective. Nourrie par de belles valeurs, elle peut déplacer des montagnes. Dans ce « monde d’avec », nous sommes au pied de la montagne. Il faut que nous ayons confiance en nous. Quand je dis « nous », je parle des gens qui ont ces valeurs solidaires, fraternelles, qui ont le cœur à gauche. La crise nous conforte dans tous les combats que nous avons menés ces dix dernières années – et que nous avons souvent perdus. Les services publics, l’écologie, le respect des espèces vivantes, les droits sociaux… Sur tous ces sujets, nous avions raison ! Il serait grave d’oublier tout ça au lendemain de la crise. On sent que le pouvoir veut provoquer cette amnésie et repartir comme avant. Nous devons garder en tête tout ce que nous nous disions pendant le confinement. Non, nous ne sommes pas des marginaux, des fainéants, des cyniques… Nous nous battons pour nos droits et pour ceux de nos voisins.
En tant qu’artiste engagé, vous sentez-vous parfois impuissant ?
Je suis un saltimbanque. J’arrive, par la musique, à être utile à des gens, à des mouvements, à créer des connexions. Seul, on sera toujours impuissant, quelle que soit notre place. C’est ce que dit la chanson « La fin du moi, le début du nous ». Je rêve d’un combat collectif. Ce système qui nous fait croire que tous les cinq ans un messie va tomber du ciel arrive à sa fin, les citoyens veulent s’engager, ne veulent plus être infantilisés. Sur les sujets importants, ils veulent avoir leur mot à dire. On peut se réunir, on peut réfléchir ensemble.
Dans l’album, on entend du basque et de l’occitan. La défense des langues régionales est-elle l’une de vos luttes ?
Il y a une beauté dans ces langues et ces cultures. C’est une histoire millénaire et notre patrimoine commun ; des gens se battent pour continuer à les faire vivre. C’est un trésor qui ne doit pas finir dans un musée. Il n’y a rien de pire que l’uniformisation des sociétés. Nous pouvons avoir des socles communs et mettre en valeur les diversités locales et régionales, par-delà nos nations. Le Pays basque est à la fois en France et en Espagne. Il nous rappelle que les frontières ont été créées après l’histoire de certains peuples.
On ne peut pas dire que vous profitiez d’une large couverture médiatique. Est-ce difficile de faire vivre vos projets ?
Ça a été compliqué. Nous avons vu au fil des années les portes médiatiques se fermer les unes après les autres. Aujourd’hui nous avons une communauté de gens qui nous suivent. Je comprends que ce que je raconte ne parle pas à TF1, et j’en suis fier. Ce que je regrette, c’est que, quand on a commencé, il y avait des espaces à la télé et à la radio pour diffuser un discours alternatif comme le nôtre, et il y a eu une fracturation. Aujourd’hui il y a deux sociétés parallèles et les ponts n’existent plus. Nous construisons des choses dans notre monde à nous, avec des gens à qui ça parle. J’ai l’impression, et peut-être que je me trompe, qu’il y a de plus en plus de monde sur la scène alternative. On arrive à agglomérer par la multiplication d’initiatives. Ce qui fait qu’aujourd’hui je n’ai plus aucun problème avec le fait que nous soyons snobés par les grands médias. Nous sommes d’autant plus libres.
L’album est fait pour la scène. Face à un public masqué et assis, cela se passe comment ?
Entre les dates annulées et les reports, nous n’avons fait que trois concerts pour l’instant. Les spectateurs ont été raisonnables, mais ils ne sont pas restés assis. Il ne faut pas être infantilisant. On ne demande qu’un peu de liberté raisonnée. Il faut faire confiance à l’intelligence des gens, mais on a besoin de danser, de chanter, de se retrouver… C’est ce qui fait le sel de nos sociétés. La façon dont le gouvernement et les préfets organisent les choses est exclusivement sécuritaire, en pensant que la culture, la fête, la joie ne sont pas compatibles avec la raison. On peut danser, être libre et faire attention. Dans cette époque-là particulièrement, on sait combien ça peut être important, ces moments de vie et de respiration.
Petite Terre, HK, Blue Line Productions.
Sans haine, sans armes, sans violence, HK, éd. Riveneuve, 19 pages, 9,50 euros.