Loi Asap : Un monstre législatif très macronien
Le projet de loi Asap, adopté par les députés dans une grande indifférence, multiplie les déréglementations au détriment de la justice sociale, de l’environnement, de la santé et de la démocratie.
dans l’hebdo N° 1622 Acheter ce numéro
Nul n’est censé ignorer la loi. Encore faut-il que celle-ci soit accompagnée d’un minimum de publicité. Ce n’est pas le cas du projet de loi « Accélération et simplification de l’action publique », dit « loi Asap », que les députés ont adopté mardi par 332 voix contre 113 (voir l’analyse du scrutin), après une première lecture au Sénat début mars en procédure accélérée. Certes, les différentes étapes de ce texte et les débats qui l’ont accompagné sont consultables sur les sites Internet des deux chambres du Parlement (voir ici et là). Mais si les médias se sont un peu attardés sur le dispositif « anti-squatteurs », introduit par amendement en réponse à l’émotion suscitée autour de l’occupation très médiatisée de la résidence secondaire d’un couple de retraités, on ne trouve nulle part un exposé des multiples mesures que contient ce texte. Et pour cause…
Cette loi Asap, destinée à simplifier les démarches des administrations, entreprises et particuliers, est un texte fourre-tout, que les apports du Sénat, de l’Assemblée nationale et du gouvernement – par le biais d’une quarantaine d’amendements gouvernementaux adoptés au Palais-Bourbon – ont démesurément gonflé de 50 à 153 articles. Dans l’exposé des motifs, très succinct, qu’en avait donné le gouvernement lors de son adoption en Conseil des ministres le 5 février, ce projet de loi prétendait répondre aux _« attentes majeures des Français » ressorties du grand débat national « en matière de transformation de l’action publique, de simplification de leur relation avec l’administration et d’accompagnement de leurs projets ». La fumisterie est complète.
Le texte comprend bien des mesures de simplification consensuelles à destination des particuliers : pour l’inscription d’un enfant mineur à une activité sportive, une déclaration parentale remplacera le certificat médical demandé aujourd’hui ; la présentation d’un justificatif ne sera plus nécessaire pour demander un titre d’identité, l’administration vérifiera l’adresse de l’usager auprès du service (Internet, etc.) ou du fournisseur (électricité, gaz, etc.) qu’il lui aura indiqué ; l’inscription à l’examen du permis de conduire sera possible sur Internet ; les ménages modestes n’auront plus besoin de présenter leur avis d’imposition pour ouvrir un Livret d’épargne populaire, c’est la banque qui vérifiera leur éligibilité auprès de l’administration fiscale ; contre l’avis du gouvernement, les députés ont décidé de permettre aux assurés de changer l’assurance-emprunteur de leur crédit immobilier à tout moment…
Mais les dispositions relatives à la simplification des procédures applicables aux entreprises sont bien plus nombreuses. Le titre III, qui les rassemble, comprend à lui seul 33 articles, dont plusieurs destinés à faciliter l’installation ou l’extension de sites industriels par allègement des contraintes administratives protectrices de l’environnement. Regroupés dans le titre I, 28 autres portent sur la suppression ou le regroupement de commissions administratives consultatives et d’organes d’expertise. Certains ont pourtant fait leur preuve, à l’instar du Haut Conseil pour l’égalité hommes-femmes ou de la commission d’aide aux victimes. Sous prétexte de déconcentration, le pouvoir des préfets est accru dans de nombreux domaines.
Les conséquences économiques et sociales de l’épidémie de Covid-19 ont également motivé plusieurs amendements du gouvernement sur l’intéressement en entreprise, le vote par procuration, la construction de logements comprenant des balcons, terrasses et jardins, mais également un allégement aussi inédit que dangereux de plusieurs dispositions clés du code des marchés publics et une extension du « secret des affaires ».
Difficile de ne pas voir dans l’empilement de mesures de ce monstre législatif la patte de puissants lobbys. Il s’agit en définitive, en diabolisant les réglementations, instances de concertation et de réflexion, de lever les obstacles à la relance de l’économie. Dans la « libération des énergies », qui guide la macronie depuis la réforme par ordonnances du code du travail, la loi Asap que des parlementaires et juristes ont traduit As soon as possible (« aussi vite que possible »), un leitmotiv libéral en vogue outre-Atlantique, marque un grand recul de l’État. Au détriment de la justice sociale, de l’environnement, de la santé et de la démocratie. Car moins de règles et moins de procédures, c’est au final moins de protections.
>> LIRE les articles de notre dossier sur les dispositions et mesures phares de ce projet de loi particulièrement indigeste :
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