Une âme de contre-culture
Guillaume Meurice et Émilie Valentin retracent l’histoire du Café de la Gare. Entre archives et témoignages jubilatoires.
dans l’hebdo N° 1625 Acheter ce numéro
Des fous, des insouciants, des têtes brûlées qui tournent le dos au théâtre bourgeois, comme un bras d’honneur, dans l’après-Mai 68. L’équipe de base est ainsi composée : Romain Bouteille, Coluche, Sotha, Miou-Miou, Patrick Dewaere, Henri Guybet, Jean-Michel Haas, Catherine Mitry. Ensemble, ils créent le Café de la Gare. D’abord dans le pourtour de Montparnasse. L’adresse change. La meute se retrouve dans le Marais, au cœur de Paris. Qu’à cela ne tienne, on conserve le nom de ce tout nouveau théâtre de poche dans ce qui reste d’une abbaye du XIVe siècle, la bande forgeant elle-même les lieux, sans un rond, les mains dans le plâtre et les gravats. Suivant une remarque lue dans des chiottes : « C’est moche, c’est sale, c’est dans le vent. » Remarque qui donne son titre à ce documentaire original de Guillaume Meurice et Émilie Valentin retraçant l’histoire du Café de la Gare.
« Au début, il n’était pas encore question de monter une troupe de théâtre. L’idée, se souvient Sotha, c’était de construire un endroit où l’on n’aurait pas à demander la permission à qui que ce soit de faire quoi que ce soit. » Et instaurer un théâtre politisé, emmené par Romain Bouteille, qui s’avoue devant la caméra « déjà anarchiste » alors, prônant « la déhiérarchisation systématique par souci d’efficacité ». Au Café de la Gare, renchérit Sotha, « l’anarchie, c’était un état, pas une profession de foi ». Une anarchie joyeuse, pas militante, et qui pose le statut de « café-théâtre », au tout début, pour des raisons fiscales. En l’occurrence, on n’y boit pas un café mais on avale une soupe, le spectacle n’étant pas l’activité principale entre les murs. Officiellement s’entend.
Évidemment, a posteriori, dans cette pépinière d’artistes, on retient les mots de Patrick Dewaere, dont Henri Guybet souligne l’« élégance, une sûreté naturelle et, en même temps, une brisure quelque part ». Déjà beau gosse, écorché vif, espiègle, inscrit dans un registre d’abord comique qu’on ne connaît pas forcément, déjà repérable entre tous : « À partir du moment où l’on fait du café-théâtre, confiait face caméra Dewaere_, c’est-à-dire où l’on construit soi-même son outil, qu’on a son théâtre, eh bien, on les emmerde ! On fait ce qu’on veut ! »_ On appelle ça une joyeuse bande.
La qualité de ce documentaire tient à ses archives, assurément, pour beaucoup inédites. Des images puisées « dans les rayonnages de l’INA, précise Guillaume Meurice, dans les VHS numérisées du Café de la Gare, dans la collection personnelle et familiale de Marius », fils de Coluche. Au reste, il est assez cocasse de savoir que le premier fiston de Coluche se prénomme Romain, comme un clin d’œil à Bouteille. Cocasse, parce qu’on observe dans ce documentaire un Romain Bouteille en chef de meute, confronté à un Coluche, alors barman, qui joue une carte personnelle, pressentant sans doute son potentiel en solo.
Le documentaire s’appuie aussi sur des interventions actuelles. Henri Guybet donc, Sotha, Romain Bouteille, témoignant d’un état d’esprit peut-être pas révolutionnaire mais furieusement libertaire. Auxquels s’ajoutent, dans ce vent de liberté, Thierry Lhermitte, dont la troupe du Splendid s’est beaucoup inspirée du Café de la Gare, Catherine Ringer, comédienne, sur place, en avant-première, Rufus, dans un émerveillement répété, Martin Lamotte, partie prenante, soulignant « l’école de l’improvisation sous surveillance », «sur un métier qui ne s’apprend pas mais qui s’invente », ajoute encore aujourd’hui Romain Bouteille, dans ce documentaire qui n’est ni hagiographique ni donneur de leçons pour les générations qui ont suivi ou à venir. Mais qui distille tout de même une liberté de travail, d’écriture, de création collective et continuelle.
Jusque-là, curieusement, il n’existait pas un film consacré au Café de la Gare. Point de hasard si Guillaume Meurice s’est collé au sujet (pendant le confinement), lui qui n’est pas que chroniqueur acerbe, au comique lucide, sur France Inter. Il se produit également régulièrement dans cet espace devenu mythique, « aux origines du café-théâtre, d’un genre qui se passe des castings, de la course aux cachets. J’y aime l’ambiance, l’architecture, les lieux, confie-t-il à –Politis. Si Romain Bouteille tient un théâtre en banlieue, Sotha y est encore, derrière la caisse, poursuit son travail, met encore en scène des pièces. Ce ne sont pas des gardiens du temple. Entre hier et aujourd’hui, il reste un truc : on continue à monter, à créer des spectacles. Il n’y a pas de retraite pour ces gens ! »
C’est moche, c’est sale, c’est dans le vent ! Le Café de la Gare, Samedi 31 octobre, à 22 h 25, sur France 5, et en replay jusqu’au 30 novembre sur le site de France 5.