Une dérégulation des marchés publics
Le minimum de transparence imposée par le code des marchés publics est décidément une « contrainte » que le gouvernement, avec la loi Asap, veut faire sauter… au risque d’ouvrir la voie à plus de corruption.
Le code de la commande publique n’était pourtant pas si strict. Il instaurait déjà, à l’article L 2122-1, des mesures dérogatoires permettant de « passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables », notamment lors « de l’existence d’une première procédure infructueuse, d’une urgence particulière, de son objet ou de sa valeur estimée ». Ce n’était pas suffisant aux yeux du gouvernement.
L’amendement 652, déposé par le gouvernement, ajoute donc à l’article L 2122-1, la mention _« ou à un motif d’intérêt général »_. Ces quelques mots, particulièrement vagues, vont permettre la multiplication de passations de marchés publics dans la plus grande opacité, sans appel d’offres et ce, quel que soit son montant. Officiellement, tout cela est censé faciliter _« la conclusion des marchés avec des PME ». En réalité, la corruption risque de s’accroître en défaveur desdites PME et du contribuable. L’association Anticor rappelle que « le coût pour les finances de la France des irrégularités dans l’attribution des marchés publics a été évalué à environ 5 milliards d’euros chaque année ». Mais le gouvernement persiste et signe.
Dans son amendement 651, il ajoute au code de la commande publique la possibilité, en cas de circonstances exceptionnelles – guerre, crise sanitaire, mais aussi en cas de _« crise économique majeure », de modifier, par décret, l’ensemble des modalités de passation et d’exécution des marchés publics. Des modifications censées être temporaires : mais comment évalue-t-on la durée d’une crise économique ?
Ces mesures s’ajoutent à l’augmentation déjà fulgurante des seuils au-dessous desquels un processus d’appel d’offres n’est plus obligatoire. Déjà en 2018, ce seuil passe de 4.000 à 25.000 euros. En décembre 2019, il monte à 40.000 euros.
En juillet 2020, la crise sanitaire justifie de le relever à 100.000 euros HT pour _« la fourniture de denrées alimentaires produites, transformées et stockées avant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire », soit le 10 juillet 2020, et 70.000 euros HT pour des travaux, « jusqu’au 10 juillet 2021 inclus ».
Pour Marc-André Feffer, président de Transparency International France, tout ceci est une « stratégie des petits pas » qui vise à « modifier durablement l’état de notre droit » pour déréguler l’encadrement de la commande publique, qui représente entre 120 et 150 milliards d’euros par an. Celle-ci constitue « l’une des activités des administrations les plus exposées au gaspillage, à la fraude et à la corruption », renchérit Elise Van Beneden, présidente d’Anticor, dans un communiqué.
L’objectif affiché de « rapprocher l’action publique du citoyen », dixit Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, est loin d’être atteint.
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