Adieu « Che » Maradona
Diego Armando Maradona était appelé «le Ché du football» par Fidel Castro et avait le portrait de Guevara tatoué sur l’épaule. Si le «dieu du football» est salué comme il se doit dans le monde, ses engagements politiques sont souvent passés sous silence.
Né à Lanus, une grande banlieue au sud de Buenos Aires, Diego Maradona grandit dans le bidonville de Villa Fiorito où ont atterri ses parents, agriculteurs victimes de l’exode rural. Tout le monde connaît son itinéraire, sa carrière de footballeur, mais il n’est pas inutile de la rappeler.
Maradona a 16 ans quand, en 1976, il fait ses premiers pas de footballeur professionnel sous le maillot rouge d’Argentinos Juniors, l’un des nombreux clubs d’une capitale mondiale du football où s’ébattent les rivaux de River Plate, de Boca Junior, de l’Independiente ou du Nacional. Videla vient de renverser Evita Peron pour sept années de ce qui sera l’une des dictatures les plus sanguinaires d’Amérique latine : sept ans de malheur.
Encore junior, il est le leader de la sélection nationale de sa catégorie qui remporte une Coupe du monde en battant l’Union soviétique en finale. Modeste club du championnat argentin, Argentinos Juniors, baptisé ainsi grâce à la richesse de son centre de formation, accède avec Maradona aux places d’honneur et rivalise avec ses prestigieux voisins. Les Jaune et Bleu de Boca Junior le recrutent au début des années 1980 et il leur offre leur quinzième titre de champion en 1981.
En 1978, Maradona n’est pas sélectionné pour le Mundial dans son pays. Cesar Luis Menotti, le sélectionneur, le trouve encore trop jeune, ce qui n’empêche pas l’Albiceleste de remporter le tournoi avec le capitaine Passarella, qui vient chercher la coupe dans les mains du dictateur Jorge Videla. Maradona lui en voudra toujours pour ce qu’il interprète à raison comme un geste d’allégeance au régime fasciste. Car, s’il n’a pas encore une conscience politique affûtée – qui sera d’ailleurs à éclipses et pas toujours cohérente –, il sait toutefois d’où il vient et ce qu’il serait devenu sans la grâce des dieux du football.
Une grâce qui va le fuir un moment quand il rejoint l’Europe et le Barça en 1982. À la fin, un maigre palmarès d’une Coupe du roi en 1983 avec le club catalan. Plusieurs fois blessé, notamment quand l’équipe joue contre les clubs basques – Athletic Bilbao ou Real Sociedad – et ses plus que rugueux défenseurs, Maradona bégaie son football au Barça, qui, après deux saisons médiocres, accepte de le céder au SSC Naples, un petit poucet du championnat italien n’ayant encore rien gagné. Entre-temps, l’équipe nationale – cette fois celle de Maradona – a été éliminée en quarts de finale de la Coupe du monde en Espagne et celui qu’on dit déjà sur le déclin s’est fait expulser lors d’un match de poule contre le Brésil. C’est le début de la légende noire de Maradona : cocaïne, alcool, filles faciles et mauvaises fréquentations.
Avant-centre de génie…
Arrivé à Naples à l’été 1984, pour 12 millions de dollars (on dit que la Camorra a fait l’appoint), Maradona va vite devenir un dieu vivant dans la capitale de l’Italie du Sud. Deux scudetti (1987 et 1990) et une coupe de l’UEFA (1989) pour le club, qui peut enfin faire la nique aux grands clubs du Nord, milanais ou turinois. Maradona marque et fait marquer, tantôt Giordano, tantôt Ferrara, qui bénéficient de ses caviars. Le film du journaliste anglais Asif Kapadia (Diego Maradona, 2018), nous le montre à cette époque où son génie footballistique est à son zénith en même temps qu’il s’englue dans les filets de la Camorra, qui en fait un cocaïnomane invétéré. Sans parler des scandales orchestrés par la presse populaire pour des paternités non reconnues. N’empêche, il faut être allé à Naples dans les années 1980 pour mesurer la ferveur dont Maradona fait l’objet dans la ville. On le voit dessiné sur l’asphalte des rues, peint en fresque sur les murs, des photographies partout aux fenêtres. Un vrai culte religieux reléguant San Gennaro, le saint protecteur de la ville, au rang de superstition désuète.
Mais son heure de gloire fut bien sûr la Coupe du monde 1986 au Mexique avec la main de Dieu et l’irrésistible chevauchée où il dribble cinq défenseurs anglais médusés lors d’un quart de finale dont on retiendra aussi le nom de l’arbitre, Ali Bennaceur, considéré par Thierry Roland comme incapable, en tant que Tunisien, d’arbitrer une rencontre internationale. C’est la revanche de la guerre des Malouines où l’Angleterre de Thatcher a humilié l’Argentine dont le régime ne survivra pas à la défaite. On connaît la suite, avec cette finale contre l’Allemagne et le second titre de l’Albiceleste. C’est la même finale en 1990, en Italie, mais cette fois c’est l’Allemagne qui gagne, justifiant la définition du football par Gary Lineker («un sport inventé par les Anglais, qui se joue à onze et où à la fin ce sont toujours les Allemands qui gagnent»). Entré petitement dans la compétition, l’Argentine sortira le Brésil après un raid de Maradona, qui passe cette fois quatre défenseurs. Un Maradona en forme peut faire gagner n’importe quelle équipe sur un exploit personnel. C’est l’époque bénie où il marche sur l’eau, ses partenaires Burruchaga ou Valdano confiant qu’ils s’arrêtaient parfois pour le regarder jouer. Lors de la finale à Rome, l’hymne argentin est sifflé par le public italien, majoritairement du nord du pays, et Maradona leur lance un audible «fils de putes». Il se revendique comme le porte-parole des populations humiliées de l’Italie du Sud, en proie au mépris arrogant des grandes métropoles du Nord.
… débordant sur l’aile gauche
On commence à entrevoir le Maradona politique. Une facette politique exploitée par Emir Kusturica dans son film (Maradona, 2008). Le cinéaste nous le montre avec Fidel Castro ou Hugo Chavez, vantant au long d’interviews fleuves les deux lideres maximos et n’oubliant pas d’insulter les Bush père et fils et, à travers eux, l’impérialisme états-unien. Argentin d’origine italo-espagnole, il va se chercher des origines croates et plaide la cause des Palestiniens comme de tous les peuples opprimés. Plus tard, il vilipendera Jair Bolsonaro, louera Lula et défendra mordicus Rafael Correa et Evo Morales contre leurs successeurs, vus comme autant d’usurpateurs stipendiés par l’Organisation des États américains (OEA) ou par la CIA. C’est Ché Maradona !
La suite est moins drôle, presque tragique pour celui qui ira au bout de son calvaire addictif, dans la confusion et l’amertume. Maradona pleure souvent, nostalgique de sa grandeur et pas tendre avec les nouvelles stars du ballon rond. Il est lourdement condamné à de la prison avec sursis en Italie pour possession et usage de cocaïne. Il quitte le pays et rejoint pour une saison le FC Séville à la suite d’un transfert au rabais. C’est l’époque où l’Olympique de Marseille fait son offre, mais Tapie renonce à le faire venir, trop cher et, surtout, trop abîmé. Le souffle court et les jambes ne répondant plus, Maradona retourne au pays pour effectuer quatre dernières saisons en tant que joueur avec les Newell’s Old Boys puis avec Boca Junior, encore. L’éternel retour. La légende est esquintée et le public argentin en vient presque à se moquer gentiment de son ventre proéminent, même si ses coups de patte peuvent encore être magiques.
Au prix d’efforts surhumains, Maradona retrouve un semblant de forme pour un ultime tour de piste lors de la Coupe du monde aux États-Unis, en 1994. Il marque un but d’anthologie contre la Grèce, mais il est temps de raccrocher les crampons.
Sa carrière d’entraîneur peut commencer après une longue parenthèse comme consultant pour différentes chaînes de télévision espagnoles, italiennes ou… vénézuéliennes. C’est l’époque où il alterne opérations, hospitalisations, cures d’amaigrissement et remises en forme, la presse populaire rythmant les épisodes d’un déclin pathétique. La déjà vieille gloire multiplie scandales et provocations. En 2008, c’est la divine surprise et Maradona est appelé à entraîner l’équipe nationale. Bilan globalement négatif, mais surtout nombreux incidents pour un entraîneur incapable de maîtriser ses émotions et ses coups de gueule. Louis Nicollin veut le faire venir à Montpellier ; canular ou forfanterie, l’affaire ne se fera pas. Ce sera ensuite Dubaï, les Émirats arabes unis, la Biélorussie, le Mexique (il a été à la tête des Dorados de Sinaloa, amusant quand on sait le rôle que joue cette province dans le trafic de cocaïne…). Avant le retour en Argentine, au Gimnasia y Esgrima de La Plata, qu’il quittera sur un coup de tête après un penalty non sifflé pour son équipe.
C’est aussi ça, Maradona ; colérique, teigneux et excessif en tout mais footballeur de génie et étendard des opprimés et des offensés du monde entier, même s’il ne faut pas trop s’attacher à la cohérence ni à la constance de ses propos politiques. Le stade San Paolo de Naples devrait être rebaptisé stade Diego Armando, par la volonté du président, Aurelio De Laurentiis.
Il pourfendait Macri et souhaitait le retour de Cristina Kirchner à la présidence argentine. C’est finalement Alberto Fernandez, avec toute l’Argentine derrière lui, qui a décrété trois jours de deuil national pour respecter l’immense tristesse d’un peuple en larmes, inconsolable de son héros qui, avant lui, en avait versé tant.
«Dieu est mort», titre L’Équipe du 26 novembre. Et Messi lui-même ne se sent pas très bien.
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