Blanquer se bunkérise
Le ministre de l’Éducation est au cœur d’un nouveau scandale : la création ex nihilo par le ministère d’un syndicat lycéen pour le soutenir. Face au tollé, il hurle au complot de « l’ultragauche ».
dans l’hebdo N° 1629 Acheter ce numéro
Devinette : quel rapport y a-t-il entre les accusations d’« islamo-gauchisme » portées par le ministre Jean-Michel Blanquer à l’encontre d’« une partie de la gauche » et le scandale du syndicat Avenir lycéen ? Aurore Bergé et une trentaine de parlementaires de la majorité, dont le très valssiste Francis Chouat, nous donnent la réponse dans une tribune ahurissante parue le 23 novembre sur le site classé à droite Atlantico. Ils accusent frontalement Edwy Plenel et Jean-Luc Mélenchon d’avoir fomenté un genre de complot contre Jean-Michel -Blanquer par le biais du scandale autour du syndicat lycéen. Tout ça parce que le ministre aurait mis en cause leur probité républicaine : « Attaquez-vous à eux et une chaîne se mobilise dans certains médias, sur les réseaux sociaux, chez des universitaires, au sein de maisons d’édition et même dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale », écrivent les parlementaires, avant d’alerter sur les prétendues méthodes de ceux qu’ils dénoncent : « Mensonges, diffamations, menaces, harcèlement, tout est bon contre ceux qui ne pensent pas comme eux et qu’ils voient non pas comme des adversaires mais comme des ennemis. »
Ainsi, les révélations de Mediapart et de Libération – suivies d’une demande des députés de La France insoumise d’ouvrir une commission d’enquête parlementaire – seraient une cabale politique. Des accusations qui tendent surtout à prouver que cette nouvelle affaire embarrasse beaucoup le ministre. Car il y a de quoi.
D’après les enquêtes des deux médias, l’association Avenir lycéen a été créée en décembre 2018 par le ministère de l’Éducation nationale pour servir sa cause et détricoter les mouvements lycéens très actifs contre les réformes. Largement subventionné par la Rue de Grenelle (une bonne partie de cet argent a été dépensée en hôtels et restaurants de luxe), ce syndicat s’est développé de manière cynique au moment des mouvements de contestation. Dans Libération, d’anciens membres témoignent avoir été instrumentalisés par des rectorats qui réécrivaient les communiqués de lycéens élus dans le but de les inciter à dénoncer les blocages et leur enjoignaient d’utiliser sur les réseaux sociaux le mot-clé « Avenir lycéen » quelques jours avant que le syndicat ne voie le jour… Puis la machine se met en route, visiblement coordonnée par Jean-Marc Huart, l’ancien directeur général de l’enseignement scolaire, proche de responsables d’Avenir lycéen.
« Instrumentalisation » de l’« ultragauche », assène le ministre face aux accusations. Une rengaine reprise dans un communiqué de presse du syndicat en cause, signé par Nathan Monteux, l’un de ses fondateurs, qui refuse « d’être pris en otage par les opposants à la politique du ministère de l’Éducation nationale à des fins purement électoralistes ». On croit rêver ! Le jeune Monteux n’hésite pas à se déclarer « hors de toute logique partisane », car « l’éducation est un sujet bien trop important pour être politique » (sic).
Pourtant, même le logo du syndicat ne laisse aucune ambiguïté : la photo floutée du fond provient du site du ministère de l’Éducation nationale, on y voit le ministre poser avec une délégation du syndicat sur le parvis de la rue de Grenelle. Au premier plan, Jean-Michel Blanquer et Nathan Monteux. On a connu plus subtil. D’autant que Monteux, qui se présente dorénavant comme un consultant en communication politique, est très engagé en politique. À l’UNI – syndicat universitaire de droite – depuis qu’il a quitté les bancs du lycée, mais aussi auprès des Jeunes avec Macron. On le retrouve même en 2019, avec une autre dirigeante du syndicat lycéen, dans un groupe Telegram nommé « Aile droite – race supérieure » avec un joli logo en l’honneur de Jean-Marie Le Pen, discutant du prochain rendez-vous rue de Grenelle…
Face à l’ampleur du scandale, les syndicats sont vent debout. L’Union nationale des lycéens (UNL) dénonce un « scandale d’État ». Au moment où le ministère renfloue son syndicat protégé, l’UNL déplore « une baisse de 75 % de [sa] subvention ministérielle, alors [qu’elle était] en train de protester contre des réformes éducatives jugées inégalitaires ». De son côté, le Mouvement national lycéen réclame des sanctions, tandis que le Snes-FSU dénonce un « coupable mélange des genres [qui] remet en cause la conception de l’État, censé être au service de l’intérêt général et non d’intérêts particuliers ».
Devant la levée de boucliers, le ministre Blanquer balaie de nouveau ces accusations qui proviendraient encore une fois d’« organisations qui sont totalement liées à des partis d’extrême gauche » décidément devenus l’épouvantail officiel.