Climat : En quête d’un nouveau souffle
Cinq ans après l’accord de Paris, les politiques climatiques sont loin d’être à la hauteur. Cependant, les annonces de la Chine et l’élection de Biden donnent l’espoir d’une nouvelle dynamique.
dans l’hebdo N° 1629 Acheter ce numéro
On s’était donné rendez-vous fin 2020 pour faire le point, une clause de revoyure qui apparaissait déjà tout aussi importante que l’accord de Paris lui-même. Adopté dans une euphorie ambivalente, le 12 décembre 2015, par 195 pays – la quasi-totalité de la communauté internationale –, le premier pacte climatique planétaire jamais scellé ne masquait rien de sa cruelle insuffisance. À Paris, les États faisaient la promesse de limiter le réchauffement climatique « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » d’ici à 2100, « et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C ». Mais, alors qu’ils avaient auparavant rendu publics leurs objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, leur somme ne couvrait qu’à peine 30 % de l’effort global nécessaire, projetant une planète plus chaude de l’ordre de 3 à 4 °C d’ici à la fin du siècle, selon les modélisations climatiques. Cinq ans plus tard, il était convenu qu’on aurait mis en cohérence les discours de tribune et les intentions concrètes.
Il faudra attendre au moins jusqu’à l’an prochain pour assister à cette confrontation avec le réel. Prévue du 9 au 20 novembre dernier à Glasgow, lors de la conférence climatique internationale COP 26 (1), elle a été repoussée d’un an, crise sanitaire du Covid-19 oblige. Et ce sursis n’est pas pour déplaire aux gouvernements : à ce jour, seuls une vingtaine de petits pays ont révisé leur cible nationale de réduction des émissions et, selon les Nations unies, ils ne devraient être rejoints que par une soixantaine d’autres d’ici à la fin de l’année.
30 ans de diplomatie du climat
1988 : Création du Giec, ****une idée maîtresse
Chapeauté par l’ONU, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) établit avec des milliers de scientifiques la synthèse périodique des connaissances climatiques, références mondiales qui s’imposent notamment auprès des gouvernements.
1992 : Rio, éveil de la conscience planétaire
Au Sommet de la Terre, près de 200 pays décident, entre autres, de la création d’une Convention cadre sur le changement climatique (CCNUCC), matrice d’une diplomatie planétaire dont le suivi sera assuré tous les ans par les Conferences of parties (COP, conférences des parties prenantes).
1997 : Protocole de Kyoto, ****premier outil international
Il contraint les 37 pays les plus riches à des réductions chiffrées de leurs émissions de gaz à effet de serre avant 2012. Laborieusement ratifié, il n’entre en vigueur qu’en 2005. Les États-Unis, notamment, s’en retirent en 2001.
2007 : Rapport Giec 4, ****les climatosceptiques au tapis
Éliminant les derniers doutes scientifiques, il établit « sans équivoque » la réalité du réchauffement, et en attribue la responsabilité « très probable » (à 90 %) aux activités humaines.
2009 : Copenhague, ****la COP de l’amertume
En dépit d’un fort sentiment de « dernière chance », les pays échouent à élaborer un successeur au protocole de Kyoto, principalement en raison des divergences entre la Chine et les États-Unis.
2015 : Paris, la COP de l’universalisme climatique
L’accord de Paris adopté à la COP 21 établit pour la première fois un cadre englobant tous les pays, s’accordant sur l’objectif de maintenir en dessous de 2 °C la hausse des températures planétaires.
Certes, les émissions de CO2, le principal des gaz à effet de serre, ont marqué le pas entre 2018 et 2019 au sein du G20 (les vingt pays les plus riches), ce qui n’était jamais arrivé en dehors d’une crise économique : la consommation de charbon baisse un peu et les énergies renouvelables sont en plein essor. Mais cette timide inflexion n’occulte pas la tendance lourde, à savoir une croissance planétaire moyenne de 1,5 % des émissions de CO2 au cours des dix dernières années. Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) calcule qu’il faudrait 7,5 % de reflux annuel jusqu’en 2030 pour mettre la communauté internationale sur les rails de l’accord de Paris. « Soit l’équivalent de l’impact d’une crise Covid chaque année, ce qui montre l’ampleur du défi ! illustre Lucile Dufour, responsable des politiques internationales du Réseau action climat France. Non seulement les objectifs adoptés en 2015 par les pays sont insuffisants, mais les mesures adoptées pour les atteindre ne sont pas à la hauteur. »
Pour enfoncer le clou, une étude dirigée par un chercheur de l’Institut de technologie de Pékin calcule que, si les engagements de réduction d’émissions en restent là, il en coûtera de l’ordre de 500 000 milliards d’euros à l’économie mondiale. A contrario, le gain global résultant d’un respect de l’accord de Paris pourrait s’élever à 350 000 milliards d’euros.
La France, en dépit de sa volonté d’apparaître à la pointe de la lutte climatique, n’est pas meilleure élève que les autres. En cinq ans, ses émissions de gaz à effet de serre ont reculé de 0,6 % en moyenne, alors qu’il lui faudrait parvenir à une cadence de – 3 % par an à partir de 2025 pour tenir son engagement climatique. Et ce manquement flagrant a donné un argument de poids au Conseil d’État pour donner suite à la saisine, en janvier dernier, de la commune de Grande-Synthe, qui redoute sa submersion sous l’effet de la hausse du niveau des mers. La semaine dernière, la juridiction a donné trois mois au gouvernement pour démontrer que ses mesures climatiques sont en adéquation avec les objectifs nationaux. Dans la même logique, les associations de l’Affaire du siècle ont déposé en mars dernier une plainte devant la justice administrative pour « carence fautive » de l’État. Des actions qui interviennent dans la lignée d’un précédent néerlandais, qui a vu l’État condamné, fin 2019, à accroître de 25 % ses efforts de réduction d’émissions avant 2021.
« Ce type d’intervention n’avait pas lieu avant 2015, faute de prise car aucun pays n’avait eu à afficher ses ambitions climatiques à terme », relève Michel Colombier. Pour le directeur scientifique de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), c’est là que réside la portée collective de l’accord de Paris, qu’il se refuse à apprécier à la seule aune de l’évolution annuelle des émissions planétaires de CO2. « Il a introduit le concept d’une neutralité carbone à l’horizon 2050 : les pays sont invités à un bilan nul en matière d’émissions de gaz à effet de serre, trajectoire cohérente avec la limitation de l’augmentation de température planétaire. Dès lors, il ne s’agit plus de se focaliser sur des paliers successifs de réduction des émissions, mais bien de se projeter dans une transformation radicale de la société à terme, indispensable pour tenir a minima le plafond des 2 °C. Ainsi la stratégie “bas carbone” établie par le gouvernement français pour atteindre cet objectif est tenue de décrire les points clés sur lesquels travailler – infrastructures, transports, bâtiments, etc. »
Cette diffusion internationale de la quête d’une neutralité carbone alimente les quelques notes d’optimisme relevées par les spécialistes de la diplomatie du climat. Début novembre, les États membres de l’Union européenne ont décidé à l’unanimité qu’à partir de 2021 la Banque européenne d’investissement (BEI) mettra l’intégralité de ses financements en cohérence avec l’accord de Paris. Ainsi, plus question de soutenir une extension d’aéroport. De plus, à partir de 2025, la banque devra consacrer au moins la moitié de ses financements (soit environ 30 milliards d’euros par an) à des projets climatiques (contre un quart aujourd’hui). « Le langage bancaire est en train de changer radicalement, témoigne Michel Colombier. Sous la pression de l’opinion, de clients, d’actionnaires, on discute d’une sortie des actifs fossiles et de nouvelles méthodes d’investissement en accord avec la transition. »
Il y a un an, l’Union européenne présentait son Pacte vert (Green Deal en anglais), ambitionnant de devenir la première grande région neutre en carbone dans le monde en 2050. L’adoption de cet objectif par chacun des États membres a été posée comme obligatoire pour accéder au Fonds pour une transition juste destiné à aider les pays qui en sont le plus éloignés. La Pologne, principal pays charbonnier de l’UE et à ce jour dernier à se montrer rétif à cette condition, semble devoir s’y résoudre désormais. Dans la perspective du prochain sommet européen du 9 au 11 décembre, l’Allemagne, qui préside l’UE jusqu’à la fin de l’année, redouble d’efforts pour l’afficher à la pointe mondiale de la lutte climatique lors de l’événement anniversaire de l’accord de Paris qui se tiendra le lendemain. Et, notamment, être à l’heure pour la révision de ses objectifs d’émissions (2). Actuellement fixés à 40 % de réduction d’ici à 2030, ils pourraient passer à 55 %, comme le souhaitent les États membres les plus volontaristes. Pour sa part, le Parlement européen propose 60 %, « et les associations 65 %, renchérit Lucile Dufour, si l’on entend tracer une trajectoire réaliste pour parvenir au zéro carbone en 2050 ».
Ce n’est pas de cette agitation communautaire mais de Chine qu’est venue la surprise de ces dernières semaines. Fin septembre, Pékin annonçait sa volonté de parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2060. Certes, une décennie plus tard que souhaitable, « mais songeons qu’en 2015, le pays défendait n’avoir aucune obligation d’objectif, dans une logique de traitement différencié des pays historiquement industrialisés et des autres, en voie de développement », rappelle Michel Colombier. Effet d’entraînement ? Un mois plus tard, le Japon et la Corée du Sud, puis l’Afrique du Sud se fixaient la neutralité carbone pour l’horizon 2050, jusqu’à la Russie, qui veut sa stratégie « bas carbone ». « Bien sûr, il faut attendre que tous ces gouvernements, et notamment Pékin, précisent leur feuille de route, convient le scientifique. Mais ce signal est important, d’autant plus qu’il a été délivré avant que l’on connaisse le résultat de la présidentielle états-unienne. »
Avec la victoire de Joe Biden, c’est l’espoir d’une nouvelle gouvernance climatique internationale qui renaît. Le président élu a informé que la première décision suivant son investiture, le 20 janvier prochain, serait la réintégration des États-Unis dans l’accord de Paris, après que Donald Trump les en a fait sortir. La COP 26 de Glasgow aura peut-être plus fière allure en 2021 que si elle s’était tenue cette année.
(1) Soit la 26e conférence annuelle des parties signataires de la Convention climat adoptée à Rio en 1992. L’accord de Paris a été adopté lors de la COP 21 de 2015.
(2) Les objectifs climatiques des États membres sont débattus au sein de l’Union européenne, qui négocie ensuite pour leur compte lors des COP.