Denis Gravouil : « Une situation d’urgence pour la culture »

Depuis le début de la crise sanitaire, les arts et la culture sont en grande souffrance, tandis que le chef de l’État leur accorde peu de considération. Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT spectacle, fait le point sur la situation du secteur.

Christophe Kantcheff  • 4 novembre 2020 abonné·es
Denis Gravouil : « Une situation d’urgence pour la culture »
© SÉBASTIEN BOZON/AFP

Le reconfinement est un nouveau coup de boutoir contre la culture, qui avait déjà du mal à se remettre de ce qu’elle endure depuis le début de la crise sanitaire. Après la mise à l’arrêt des salles de spectacle et de cinéma, un soutien massif du gouvernement au secteur est au cœur des revendications de la CGT Spectacle.

Dans son allocution annonçant le reconfinement, Emmanuel Macron n’a fait aucune référence à la culture. Cela vous a-t-il choqué ?

Denis Gravouil : Qu’Emmanuel Macron ne s’intéresse pas à la culture est une constante depuis le début de son mandat. Il a nommé une nouvelle ministre de forte notoriété pour compenser la transparence des précédents, mais cela ne change rien à l’affaire. Pourtant, si elle n’est pas vitale comme les hôpitaux et le fait de se nourrir, la culture est essentielle, au sens étymologique de ce mot : c’est l’essence d’un peuple, d’une nation.

Avant le reconfinement, le couvre-feu avait déjà porté un gros coup dur…

En effet. Et l’annonce du couvre-feu s’est faite sans concertation. Comme tous les responsables des organisations représentatives, nous avons été convoqués le lendemain pour une réunion sans contenu. Quelques jours plus tard, le Premier ministre a organisé une autre réunion en ne recevant que les employeurs, pour annoncer qu’une somme de 115 millions d’euros serait débloquée : 80 pour le spectacle vivant et 35 pour le cinéma, c’est-à-dire des miettes.

Avec le reconfinement, l’urgence de la situation est encore plus grande. Même si, bien sûr, nous sommes conscients de la gravité de la crise sanitaire. Les gestes barrières ont d’ailleurs été scrupuleusement respectés dans les lieux de spectacle, et aucun cluster n’a été constaté dans le public qui les a fréquentés.

Qu’attendez-vous du gouvernement pour compenser la mise à l’arrêt des salles de spectacle et de cinéma ?

Le gouvernement ne peut pas renvoyer les acteurs de la culture aux mesures générales qui ont été prises, comme l’activité partielle. Dans les faits, elles ne sont pas accessibles à la très grande majorité des contrats des intermittents ou des auteurs. Nous avons interpellé Roselyne Bachelot pour qu’elle monte au front sur deux points. Le premier, c’est la continuation du travail. Notamment dans le spectacle vivant, où les artistes doivent pouvoir continuer à créer en résidence et à répéter. La principale raison de l’annulation des festivals de l’été tenait au fait que, sans répétitions, les spectacles n’étaient pas prêts. Cela implique un soutien massif aux lieux. Car, sans perspective de production et de représentations, les répétitions seront impossibles à financer.

Le deuxième front, c’est le soutien aux droits sociaux. Ce qu’on appelle l’« année blanche », c’est-à-dire la prolongation des droits pour les intermittents, a représenté un filet de sécurité. Mais les entrants, c’est-à-dire les jeunes, en ont été écartés. Et dans certains secteurs, comme la musique actuelle, beaucoup de professionnels ont été privés de travail cet automne, le seront cet hiver et peut-être au printemps prochain. Enfin, tous les droits sociaux corrélés à la masse salariale, comme les droits à la retraite ou à la formation continue, sont en train de s’évaporer.

Quels secteurs sont les plus touchés ?

La musique actuelle, c’est-à-dire les concerts debout, qui étaient proscrits, et le spectacle de rue. C’est là qu’il y a eu le plus d’annulations. Mais les autres domaines artistiques souffrent aussi -considérablement. Beaucoup de gens se demandent s’ils ne vont pas arrêter ce métier. On n’a pas encore mesuré toutes les conséquences de ces arrêts de la vie artistique et culturelle.

Les tournages de cinéma vont pouvoir continuer…

Oui. Les tournages des films déjà financés peuvent se faire. Notre inquiétude porte sur l’avenir. Puisque les salles de cinéma sont de nouveau fermées, les recettes du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) seront encore une fois mises à mal. Ce qui signifie que des menaces pèsent sur le financement des films en 2021 et 2022, le CNC en étant une source importante.

Le poids économique de la culture est-il un argument auquel le gouvernement pourrait être sensible ?

La culture représente en effet 2,5 % de l’ensemble de l’économie. Mais c’est très diffus puisqu’on y intègre la presse, le patrimoine, etc. Reste que je ne sais pas comment Avignon, par exemple, va se remettre de l’annulation du festival 2020, qui est le véritable poumon économique de la ville. A contrario, les pouvoirs voient souvent la culture de façon dégradée : comme un secteur d’activité sans cesse en demande d’argent. Oubliant les recettes qu’elle génère, les emplois directs et indirects, etc.

Où en est la mobilisation ?

Nous sommes en train de réfléchir à un certain nombre d’actions, éventuellement en ligne, pour que nos professions s’expriment. Mais il faut le reconnaître : l’engagement des gens de culture n’est pas toujours suffisant pour affirmer l’importance de la culture dans notre démocratie. Même s’il y a des prises de position remarquables de certains artistes, par exemple, le monde culturel peine globalement à se défendre et à reprendre la place qu’il a pu occuper dans le passé dans cette bataille idéologique. Je crois que cela tient à une dépolitisation et à un certain défaut de connexion avec le reste de la société.

Que presque personne n’ait vu venir le mouvement des gilets jaunes, traduction d’une paupérisation de tout un pan de la société, devrait aussi interroger le milieu de la culture. Mais nous faisons en sorte que la sidération et la colère se transforment en bataille unitaire pour obtenir de vivre de nos métiers !

Culture
Temps de lecture : 5 minutes