En Arménie, après la défaite, la crise politique
Critiqué pour la capitulation face à l’Azerbaïdjan, Pachinian, le Premier ministre arménien, fait face à une opposition revigorée et à une société démoralisée.
dans l’hebdo N° 1628 Acheter ce numéro
N ikol le traître ! », « dégage ! ». La semaine dernière, le centre d’Erevan a grondé de la colère de plusieurs centaines de personnes réclamant la démission du Premier ministre arménien, à l’instigation d’une vingtaine de partis d’opposition. Le vice-Premier ministre Tigran Avinian redoute même la tentation d’un coup d’État. Il est reproché à Nikol Pachinian la capitulation dans la guerre du Haut-Karabakh et les concessions de l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre, sous le parrainage pressant de Moscou. L’Azerbaïdjan récupère la portion reconquise du Haut–Karabakh, ainsi que le glacis qui accolait ce territoire à l’Arménie depuis sa victoire militaire de 1994. La Russie a déployé 2 000 soldats sur le terrain, imposant plus que jamais sa tutelle sur Erevan. « Le gouvernement est en situation difficile, car cet accord est catastrophique pour le pays », convient Arman Grigoryan, enseignant arménien en relations internationales à l’université Lehigh (États-Unis).
Il s’agissait d’« éviter le pire », justifie Nikol Pachinian devant une opinion saisie de surprise par l’accélération des événements, alors que la communication politico-militaire laissait croire à une bonne tenue de son armée. De fait, reconnaissant 2 300 décès dans ses rangs, elle se trouvait en situation critique après la perte de Chouchi. La ville stratégique contrôle l’accès à Stepanakert, capitale de l’Artsakh (nom de la république autoproclamée du Haut-Karabakh), ainsi qu’au corridor de Latchin, qui relie à l’Arménie ce territoire enclavé en Azerbaïdjan. « Sur le terrain, 20 000 militaires se retrouvaient dans la nasse, avec le risque d’une perte totale du Haut-Karabakh », défend un observateur proche des autorités.
Cependant, la vague contestatrice ne semble pas en mesure, pour le moment, de renverser le gouvernement. Notamment parce qu’elle est menée par la « vieille garde » de Robert Kotcharian et Serge Sarkissian, anciens dirigeants de l’Arménie, souligne Arman Grigoryan. « Une grande partie de la population ne veut pas les voir revenir. » Même si le Premier ministre a subi une forte chute de popularité, cet ex-journaliste épris de démocratie reste pour beaucoup le héros de la « révolution citoyenne » qui l’a porté au pouvoir en 2018, avec la promesse de traquer la corruption minant les élites politico-économiques d’alors.
Ses opposants lui reprochent une position incertaine sur le conflit du Haut-Karabakh, gelé depuis 1994 en dépit d’escarmouches permanentes et parfois majeures sur la ligne de front. Dans un premier temps, Nikol Pachinian a semblé ouvert à une négociation avec Bakou, ce qui lui a immédiatement valu, déjà, d’être qualifié de traître en puissance. Il s’est ensuite rapproché d’une ligne intransigeante, allant jusqu’à faire l’éloge, en août dernier, du traité de Sèvres de 1920, « fait historique » qui reconnaissait la prérogative d’Erevan de reconstituer en partie la Grande Arménie du passé, empiétant sur l’est de la Turquie jusqu’à la mer Noire. « Concernant le Haut-Karabakh, ce durcissement de ligne a une justification morale acceptable », estime Arman Grigoryan. Car le territoire, très majoritairement arménophone, a été arbitrairement attribué à l’Azerbaïdjan après la Première Guerre mondiale, par les Britanniques puis par Staline. « Cependant, les autorités ont sous-estimé le rapport de force avec l’Azerbaïdjan. » Alors que le pays réarmait massivement depuis 2000, « il régnait le sentiment que l’Occident volerait in fine au secours de la petite Arménie », souligne Bernard Dréano, un des animateurs du réseau international de l’Assemblée européenne des citoyens et bon connaisseur de la région.
Mais le conflit a révélé combien la géo-politique locale a défavorablement évolué pour l’Arménie. Les États-Unis se sont désinvestis et la France n’a guère que son volontarisme à faire valoir. Ces deux pays pilotent avec la Russie le Groupe de Minsk, créé après 1994 avec l’objectif de dégager une solution négociée pour le Haut-Karabakh. « Or les plans successifs ont tous échoué pour la simple raison que les parties sont radicalement en désaccord, résume l’observateur cité plus haut. Si la diplomatie internationale n’intervient pas plus fermement, il est à craindre qu’une nouvelle guerre du Haut-Karabakh éclate un de ces jours prochains… » Pachinian ou pas.