Haute voltige pour le monde du cirque
La Nuit du cirque, du 13 au 15 novembre, tente de trouver malgré tout son public sur Internet et de faire survivre le paysage circassien.
dans l’hebdo N° 1627 Acheter ce numéro
Pour les arts de la piste, la Nuit du cirque aurait pu être une grande fête de renaissance après des mois particulièrement éprouvants. Davantage encore que pour d’autres arts vivants : « Après de longs mois d’arrêt, la reprise de l’entraînement, en juillet, a été difficile pour les circassiens. Les blessures ont été nombreuses. Les représentations ont doucement repris, puis est arrivée une sanction incompréhensible : à Paris et dans quelques autres régions, a été décrétée l’interdiction des spectacles sous chapiteau », résume Philippe Le Gall, directeur de l’un des treize pôles nationaux cirque (PNC) – le Carré magique à -Lannion, en Bretagne – et de l’association Territoires de cirque, qui porte la Nuit du cirque avec le soutien du ministère de la Culture. Une décision « qui prouve l’incompréhension en hauts lieux du nouveau cirque, pourtant structuré de manière professionnelle, doté de ses écoles nationales, de ses compagnies conventionnées et, depuis 2010, du label PNC. Le cirque n’est pas pris au sérieux, il doit toujours se justifier. »
Lorsqu’est tombée l’annonce du deuxième confinement, -Territoires de cirque n’a donc pas hésité. Plutôt que d’annoncer une annulation sèche de l’événement qui devait « témoigner de la multiplicité des écritures et des esthétiques apparues ces dernières décennies », l’association s’est mise au travail pour proposer aux dates prévues une Nuit numérique. Chapeautée par Régis Huvelin, chargé de développement du Pôle cirque Grand Est, et par Richard Fournier, à la tête de « Le Mans fait son cirque » – pôle cirque en préfiguration –, cette édition 2.0 se présente sous deux formes : trois émissions de deux heures diffusées chaque jour en direct et un contenu éditorialisé en libre accès sur le site lanuitducirque.com.
De la toile des chapiteaux à celle du net, la Nuit du cirque fait un triple salto. L’acrobatie en vaut la peine : montrer des artistes au travail et documenter leurs gestes très divers. « Dire que, de la même manière qu’une littérature-monde, il existe un cirque-monde. »
Si cette Nuit virtuelle ne prétend pas rivaliser avec celle qui fut rêvée par son équipe – seule une partie de la centaine de partenaires y participent –, elle nous permettra d’entrevoir la vie de différents théâtres et pôles cirques. Au Mans, par exemple, Richard Fournier a décidé d’accueillir les cinq compagnies qui auraient dû faire sa Nuit du cirque : la compagnie Allégorie, avec sa « fresque de cirque et de parures » –cOLLiSiOn ; la compagnie Monad, avec son mélange personnel de tai-chi, de jonglage et de danse derviche ; ou encore La June et son Ogre, « méditation monstrueuse et polymorphe ».
Comme au Carré magique, à Archaos à Marseille et ailleurs, ces artistes seront filmés au travail. Certains seront interviewés. D’autres seront présents à travers des films, parfois réalisés pour l’occasion. À l’image du paysage circassien dont ils témoignent, ils présentent des formats très divers qui vont de la courte vignette poétique au documentaire.
Dans son moyen-métrage Faire voltiger son monde, Sandrine Pujar nous fait ainsi approcher le geste et la pensée de Maroussia Diaz Verbèke pendant la création de son spectacle Circus Remix (2017), qu’elle devait reprendre à l’Académie Fratellini pour la Nuit du cirque. L’artiste y explique sa pratique de la « circographie » : « Il n’existait pas de mot pour désigner la mise en scène du cirque. Pour avancer dans mes recherches, j’ai eu besoin d’en inventer un. »
Parmi les plus intéressantes du cirque actuel, la voix de de Maroussia Diaz Verbèke est ici particulièrement bien mise en valeur. Tout comme celle de Johann Le Guillerm dans un documentaire réalisé par la télévision argentine Canal Encuentro, qui aurait dû être programmé par le Cirque-Théâtre d’Elbeuf dans le cadre de la résidence de l’artiste pour sa nouvelle création, Terces. Cet « artiste des points de vue » restera finalement en résidence à Calais, en attendant de savoir s’il pourra présenter son spectacle en décembre. Sous une vraie toile…
La Nuit numérique, du 13 au 15 novembresur lanuitducirque.com