Hold-up mental
Malgré sa piètre facture, le « documentaire » Hold-Up vise avant tout à instiller la confusion.
dans l’hebdo N° 1628 Acheter ce numéro
Qui se souvient de Loose Change ? En 2005 sortait un « documentaire » à succès sur le 11-Septembre. Un empilement de « faits étranges » et d’arguments « techniques » accréditant la thèse d’un complot des services américains. Au départ fabriqué dans un garage, il s’était peu à peu professionnalisé, avec de nouvelles versions se mettant à jour au fil des années. Il reste aujourd’hui, avec d’autres films du même acabit, une référence conspirationniste.
Signe des temps, en 2020, quelques mois suffisent pour produire un équivalent de qualité « professionnelle » sur le coronavirus. Mêmes méthodes, entre musique dramatique et effets de suspense, même mille-feuille argumentatif donnant l’impression que « tout ne peut pas être faux ». Vingt-quatre heures suffisent pour que le film fasse le tour d’Internet, et des personnalités autrefois respectables se prêtent au jeu sans sourciller, en toute irresponsabilité.
« Tout ne peut pas être faux », et pourtant ! Tout vise à instiller la confusion. Qu’on en juge par la cohérence du propos : les gouvernements ont fabriqué un virus mortel pour « exterminer » une partie de la population, mais ce virus n’est finalement pas dangereux et les mesures sanitaires que prennent les mêmes gouvernements sont donc « liberticides ». Au spectateur de choisir de quoi il préfère s’indigner. Pour notre part, nous choisissons de ne pas sous-estimer ce virus, qui a déjà fait 1,2 million de morts dans le monde en quelques mois. Et si nous instruisons volontiers le procès des gouvernements, c’est celui de l’impréparation, du déni et de l’incompétence, pas celui de la manipulation. Pour s’en convaincre, il suffit de se demander comment des gouvernants très « pro-business » en sont arrivés à fermer les commerces. Mais ce documentaire n’est pas à une incohérence près.
Par sa piètre facture, Hold-Up échouera sans doute à convaincre les foules. Mais l’essentiel n’est pas là. Comme tout discours complotiste, il vise moins à imposer sa thèse qu’à s’assurer que son auditoire ne croie plus en rien. Science, médias, politique y sont discrédités en bloc. Sa viralité et le succès de son financement participatif montrent une appétence pour ce genre de discours, dont nombre d’« arguments » sont une resucée des « rassuristes » des plateaux télé. Arguments qui visent avant tout à relativiser les morts et les souffrances, et qui en ont abusé plus d’un.
A-t-on suffisamment pris en compte le désarroi du public face à un événement d’ampleur mondiale (et que malheureusement personne ne contrôle), et le traumatisme individuel et collectif qui nous frappe, lorsque notre vie sociale, jusque dans l’intimité, devient un « danger » ? Le « virus de la peur » n’est-il pas finalement le virus tout court ? Hold-Up exploite cette corde, mais c’est la pire réponse qui soit.
Pour prolonger la critique, voir cette très bonne vidéo de la chaîne Youtube Partager c’est sympa : https://www.youtube.com/watch?v=VdpfL4rCVa0
L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don