Il ne faut pas que la fiction dépasse trop la réalité
L’auteur imagine un virus mortel et un Grand Président qui règne par le mensonge.
dans l’hebdo N° 1626 Acheter ce numéro
Je suis plutôt amateur de science-fiction dystopique – de ces bouquins, tu sais, qui racontent, comme autant de cris d’alarme, des mondes imaginaires cauchemardesques, ployés le plus souvent sous le joug de l’autoritarisme : je trouve que leur lecture a du moins le mérite de nous divertir du si doux lissé de l’époque. Mais il arrive parfois que certain·es auteurs et autrices forcent trop sur l’horreur de ces univers inventés et que leurs tristes récits inspirent une telle épouvante qu’ils en perdent toute vraisemblance.
L’autre jour, par exemple, j’ai commencé un livre dont le début narre l’élection, dans un pays raisonnablement démocratique, d’un arriviste – le « Grand Président » (GP) – qui règne, sitôt qu’élu, par le mensonge élevé au rang de moyen de gouvernement, et par une constante répression de toute contestation. Et qui se révèle donc être un despote en devenir.
Ce début est plutôt réussi : tout le truc a bien sûr un petit air de succédané de 1984, mais reste globalement crédible – sauf, peut-être, quand le tyranneau soutient, après avoir distribué des centaines de milliards de jeanmichelblanquos (1) à ses client·es et mandant·es, qu’il n’est « pas le Grand Président des riches ».
Mais, après, ça se gâte.
D’abord, l’auteur imagine qu’un virus mortel, transmissible notamment par une simple respiration, tue des dizaines de milliers de personnes – mais que le Grand Président, confronté à cet effroyable fléau, incite d’abord ses sujets à ne rien « modifier », surtout, de leurs « habitudes de sortie » – puis, plus incroyable encore, qu’il leur fait dire ensuite par des affidés que, s’ils tombent malades et meurent, c’est parce qu’ils n’auront pas fait assez attention à bien se nettoyer le bout des doigts.
Déjà, c’est peu vraisemblable – car quel autocrate oserait ainsi envoyer la totalité de ses gouverné·es vers une possible mort ?
Mais voilà que l’auteur ajoute encore un élément supplémentaire à ce délire : des enseignant·es sont tué·es par des fanatiques, mais le Grand Président, loin d’œuvrer au soulagement d’une population déjà éreintée par les constantes brutalités de son règne, lui fait plutôt redire par l’un de ses cruels suppôts (2) que tout ça est quand même pour une très large part de sa faute, et que si des profs sont occis, c’est aussi parce que des profs manquent au patriotisme. Et cela fait, décidément, beaucoup d’extravagances, mais l’auteur fait encore ce nouvel ajout – qui est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup : des « universitaires » confectionnent (et font publier dans la seule presse autorisée) une tribune pour conspuer, à l’unisson de l’autocrate et de ses sinistres séides, ces mauvais enseigneurs.
C’est là que j’ai pris la décision d’arrêter ma lecture de cet improbable roman – car, vraiment, il m’emmenait beaucoup trop loin au-delà de ce que je peux, comme liseur, considérer comme plausible.
(1) Il s’agit, on l’aura deviné, de la monnaie en vigueur dans ce monde imaginaire, et dont le symbole est un ß.
(2) Appelés « ministres ».
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.