La parole aux scientifiques : La banquise arctique

Politis donne la parole à des experts qui observent la catastrophe climatique en cours. Marie-Noëlle Houssais : « Les impacts des variations de la banquise sur la biodiversité sont notables. »

Vanina Delmas  • 25 novembre 2020 abonné·es
La parole aux scientifiques : La banquise arctique
© PHILIPPE ROY / Aurimages via AFP

Marie-Noëlle Houssais, chercheure océanographe du Cercle polaire (CNRS)

« La banquise arctique est vue comme une sentinelle du changement climatique car elle s’y révèle particulièrement sensible. Les quarante-deux années de données spatiales mettent en évidence des changements persistants dans l’ensemble des caractéristiques de la banquise, notamment la décroissance de son étendue (quelle que soit la saison considérée), de son épaisseur ou de son âge. En ce sens, les zones polaires sont à la fois le réceptacle du changement climatique mais aussi les témoins de ces changements. Le réchauffement atmosphérique, 2,5 fois plus important au pôle qu’en moyenne globale sur la planète, explique pour une grande part ces diminutions mais les températures de l’air sont elle-même intrinsèquement liées à la fonte des glaces. Grâce à son pouvoir réfléchissant élevé, la banquise est en effet un acteur de l’amplification du réchauffement atmosphérique aux pôles. Elle est aussi impliquée dans grand nombre d’interactions avec l’océan, l’atmosphère ou la cryosphère terrestre.

Chaque année, la banquise à son minimum annuel du mois septembre est particulièrement scrutée pour deux raisons. D’une part, c’est l’étendue de banquise de septembre qui diminue le plus rapidement (-13.4% par décennie), avec une accélération depuis le début des années 90 . D’autre part, même si les mécanismes n’en sont pas très bien élucidés, les liens qui existent entre l’état de la banquise en septembre et le climat hivernal du continent eurasien montrent tout l’intérêt de comprendre la distribution du couvert de glace arctique de septembre. La glace désormais moins épaisse et moins omniprésente devient néanmoins plus sensible aux fluctuations climatiques, qui se reflètent dès lors dans des variations interannuelles du couvert de glace de plus grande amplitude et plus difficiles à prévoir.

© Politis

La banquise diminue également en hiver, notamment en mer de Barents, au large de l’Europe, mais cette région présente la particularité d’être baignée par la prolongation des eaux chaudes du Gulf Stream en provenance des tropiques et celles-ci pourraient jouer un rôle prépondérant dans la diminution observée.

Les impacts des variations de la banquise arctique sur le système climatique global sont essentiels. Quand ces eaux tropicales arrivent dans les régions arctiques, elles se refroidissent et plongent sous forme d’eau dense. L’absence de glace ou la présence de glace moins épaisse altère cette transformation qui est le moteur du « tapis roulant » de la circulation globale océanique. La banquise exerce aussi un contrôle sur la biodiversité et les écosystèmes marins: une exposition à la lumière de zones habituellement couvertes de glace peut bouleverser l’ensemble des échelons trophiques et perturber les habitats, participant à la disparition ou à la migration de certaines espèces.

Aujourd’hui, je m’intéresse plus particulièrement au rôle de l’océan sur la glace car on observe depuis récemment de grands changements au cœur même de l’océan Arctique, avec une présence plus importante d’eau chaude d’origine Atlantique, risque potentiel de fonte de la banquise. Les variations de cet afflux d’eau atlantique en Arctique, sur des échelles de temps relativement longues, peuvent ainsi être une source de prévisibilité pour le futur de la banquise.

Même s’il demeure une incertitude sur son échéance exacte, la probabilité de disparition de la banquise estivale avant la fin du siècle resterait assez faible si l’objectif de limiter l’augmentation globale des températures à 2 °C est tenu. Mais si on dépasse ce seuil, la banquise pourrait en effet disparaître.»

Écologie
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