M’hammed Henniche, influenceur

Le recteur de la mosquée de Pantin, qui a relayé la vidéo du père de famille fustigeant Samuel Paty, est un organisateur qui cultive les liens avec les politiques pour la cause cultuelle.

Nadia Sweeny  • 11 novembre 2020 abonné·es
M’hammed Henniche, influenceur
© Kiran Ridley / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP

M’hammed Henniche crapahute de la communauté musulmane au monde politique depuis une bonne vingtaine d’années. Ce chef d’entreprise d’informatique, président de l’Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis (UAM93), qu’il a contribué à fonder en 2001, est un notable connu comme le loup blanc. Sa spécialité : négocier les projets cultuels à grands coups de soutien politique. « Quand je soutiens un candidat, je vais “travailler le produit” comme un commercial : on prend contact, on discute, on voit ce qu’on peut vendre à la communauté. Mais les gens ne sont pas des moutons, on est dans une démarche sincère », explique-t-il, serein. Cela dit, il se défend de proposer un deal du type « une mosquée = un soutien ». Par exemple à Aulnay-sous-Bois, pour les municipales de 2014, il prend le parti de Bruno Beschizza (LR) contre le maire sortant Gérard Ségura (PS) par « punition ». « Les associations de la ville ont travaillé sur un projet commun de mosquée : à la fin, au lieu de créer une fédération, il a fait le choix de favoriser une association et d’écarter les autres. Je lui ai dit “tu vas créer la zizanie”, mais il ne m’a pas écouté. » M’hammed Henniche soutient donc l’adversaire. « J’ai présenté Bruno aux déçus. » C’est « Bruno » qui a été élu et « une école musulmane a été ouverte et confiée à l’autre partie des associations musulmanes ». Une réussite dont il se félicite.

« C’est Claude Bartolone qui m’a fait réaliser notre potentiel dans les quartiers, se souvient-il. En 2001, il était ministre délégué à la Ville et je l’ai fait venir dans une cave d’une cité de Bagnolet pour discuter avec les jeunes. Il était ravi de pouvoir leur parler sans se faire insulter. » Une prise de contact apaisée qui serait due au caractère « musulman » de l’association organisatrice. Mais est-ce son rôle ? « Et pourquoi pas, répond M’hammed Henniche. Pourquoi les associations musulmanes ne seraient-elles pas un relais citoyen ? Dans les cités, qu’on le veuille ou non, les gens ont une culture musulmane même si beaucoup ne pratiquent pas. » Fort de son potentiel numéraire, celui qui dit n’appartenir à aucune obédience idéologique, ni politique ni islamique, parcourt ainsi le territoire et se fait un nom. Son association organise des dîners de rupture du jeûne où se précipitent les politiques, principalement de droite, attirés par le contact avec des relais auprès de cette communauté : Alain Juppé, Valérie Pécresse, François Fillon, Nathalie Kosciusko-Morizet…

Et puis, un jour, les communautés religieuses de Pantin appellent M’hammed Henniche pour lui confier le rectorat de la grande mosquée qui va naître. Pour le moment, sur le terrain loué à la mairie subsiste un hangar pour salle de prière. Le maire socialiste accompagne le projet depuis une dizaine d’années avec le soutien de l’acteur communautaire : « L’objectif était de fédérer toutes les communautés religieuses – Africains subsahariens, Maghrébins, Pakistanais, Bangladeshis et Turcs – dans cette mosquée, et il a gagné systématiquement au premier tour ! », clame M’hammed Henniche, qui accepte l’invitation. La première pierre est posée en mars dernier en présence d’un adjoint au maire et du candidat de droite.

Personne ne pouvait alors prévoir que, le 19 octobre, la mosquée subirait une fermeture administrative de six mois, regardée « comme ayant procédé à la diffusion de propos provoquant à la haine et à la violence et susceptibles de contribuer à la commission d’actes de terrorisme », selon l’arrêté du préfet.Le 9, M’hammed Henniche a en effet relayé sur le compte Facebook de la mosquée la première vidéo, celle du parent d’élève appelant à la mobilisation contre Samuel Paty, décrit comme un « voyou ». Il n’était pas l’unique relais (d’autres organismes musulmans l’ont été), mais il prend sa part. Pour lui, cette vidéo n’était pas un appel à la haine, mais un simple témoignage : « Jamais je n’aurais imaginé que ça finirait de manière aussi tragique ! Est-ce que partager la vidéo d’un témoignage qui aboutit à un crime fait de nous des complices indignes d’être républicains ? Désormais, nous ne diffuserons plus rien. » Mais, là encore, était-ce le rôle de la mosquée ? « C’était dans une démarche de suivre l’actualité et de s’intéresser à ce qui se passe à droite et à gauche. Une mosquée doit vivre avec son temps »…


Le maire d’Aulnay-sous-Bois, Bruno Beschizza, nous a fait parvenir le droit de réponse suivant, concernant les propos de M’hammed Henniche que nous citons dans notre article :

Suite à l’article publié le 12 novembre 2020, par le site internet politis repris par plusieurs autres blogs, je tiens à faire part à vos lecteurs des faits suivants : Par la décision n° 1476 du 7 décembre 2010, Gérard Ségura, sans passer par une délibération du Conseil municipal, a donné les locaux désaffectés de l’ancienne école Bougainville à l’association Espérance Musulmane de la Jeunesse Française (EMJF), présidée par Hassen Farsadou. Tout était gratuit. Ni le loyer, ni l’entretien, ni les fluides (eau, gaz, électricité) n’étaient payés par l’association. Tout était pris en charge par le contribuable aulnaysien. Depuis 2010, des cours étaient ainsi dispensés dans ces locaux qui s’apparentaient à une école clandestine puisque rien n’était déclaré aux autorités académiques. J’ai hérité de cette situation à ma prise de fonctions le 5 avril 2014. Ce système mis en place par la précédente municipalité n’était pas « illégal » mais tout simplement « hors-loi ». C’est-à-dire qu’il n’était encadré par aucun texte.

Je l’assume : j’ai remis de l’ordre. J’ai mis en place un bail, payant avec un loyer et des obligations, pour une autre association, distincte de l’EMJF. Cette association, titulaire du bail, « Education pour tous », souhaite par ailleurs s’engager vers une contractualisation avec l’Etat comme tout autre établissement confessionnel, ce qui n’est possible qu’après 5 années d’exercice en hors-contrat. Les droits ne vont pas sans les devoirs. Grâce à mon action, cet établissement est désormais soumis à la loi. Il est déclaré auprès des services de l’Éducation nationale qui ont autorisé son ouverture en école hors-contrat. Les autorités académiques exercent donc un contrôle sur les enseignements et le personnel. Dans le même esprit de légalité, la municipalité s’est félicitée de la fermeture par le Préfet d’une école clandestine le 14 janvier 2020. Je laisse aux apprentis sorciers prédicteurs électoraux le soin de se glorifier de leur prétendu « poids électoral », repris sans aucun recul dans la presse. Sur Aulnay-sous-Bois, j’observe que malgré l’absence de soutien de l’association en question, ma candidature est arrivée en tête dès le 1er tour, dans la totalité des bureaux de vote de ma ville, avec 59,34% des suffrages, ce qui est du jamais vu. M. Henniche, à ma connaissance, n’y est pour rien. Il s’agit seulement du résultat d’une politique municipale impulsée depuis 2014 qui vise à rassembler les Aulnaysiennes et les Aulnaysiens autour d’un projet simple : bien grandir et bien vivre en famille à Aulnay-sous-Bois.

Société
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