Précaires et entrepreneurs : que dire d’un pouvoir qui sacrifie ses « petites gens » ?

Nos concitoyens les plus fragiles (familles précaires, malades chroniques non covid) et nos petits commerçants sont « victimes » de décisions prises au nom du « sanitaire » et pourtant en dramatique contradiction avec la définition de la santé, cet état de bien-être physique, psychique et social.

Philippe Naszályi  • 17 novembre 2020
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Précaires et entrepreneurs : que dire d’un pouvoir qui sacrifie ses « petites gens » ?
© Photo : Vendredi 13 novembre 2020, Action symbolique des commerçants du centre-ville de Nantes le 13 novembre, pour exprimer leur colère et leur désarroi suite au deuxième confinement décidé par le gouvernement, beaucoup de gérants de ces petits commerces redoutant la faillite (ESTELLE RUIZ / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP)

Paris montre toujours les dents. Quand il ne gronde pas, il rit ». Or, depuis quelques semaines, plus question de cet « être moral » Paris dont parlait Hugo. Paris, la France, son « petit peuple » s’embrasent.

En tant qu’économiste et président d’une institution territoriale de démocratie en santé, mon inquiétude grandit vis-à-vis de nos concitoyens les plus vulnérables qui évoluent dans deux univers symboles d’un certain modèle français.

Philippe Naszalyi, docteur en sciences économiques et historien, préside le Conseil territorial de santé de l'Essonne, organe de démocratie sanitaire qui fédère toutes les instances représentatives d'usagers et de professionnels de santé pour faire progresser la prise en compte du citoyen dans son parcours de soin. Avec cette instance, il a créé pour la première fois en France le Guichet des Réclamations en Santé qui accompagne les usagers en litige avec les administrations sanitaires et médico-sociales.
Tout d’abord, celui des personnes fragiles, précaires, usagers non-Covid de notre système de santé, avec lequel les litiges explosent. Et deuxièmement, celui des petits entrepreneurs, les « premiers de corvée » de nos achats du quotidien, qui passent du visage de la colère au masque de la fronde. L’énergie libidinale de cette foule (1) en cours de constitution est-elle le signal faible d’une affection gravissime en période de crise ? Une sorte de « gilet-jaunite » des personnes à la santé fragile et de ceux qui se lèvent tôt et qui ne veulent ni se cacher à nouveau et mourir ruinés encore moins (2), envahit tout le pays. Il faut être aussi totalitaire que cette administration politique pour oser définir ce qui est ou non essentiel dans la vie d’un humain et le réduire à une fourmi uniquement productive ! Cet utilitarisme, fruit de la marchandisation propre au néolibéralisme, est rejeté par un nombre important d’élus locaux et d’associations de défense des usagers (3). La santé de tous, la véritable santé, cet « état complet de bien-être physique, mental et social » (4) est sacrifiée sur l’autel du sanitaire, le plus étroit, réduit à « une maladie » et à ses impératifs organisationnels immédiats car impréparés.

De plus en plus de citoyens sont en rupture avec les institutions sanitaires et médicosociales. Avec la crise de la Covid, le nombre de réclamations explose. On devrait s’alarmer de l’afflux de familles qui se disent rejetées par un système sanitaire qui ne leur répond plus et ne parvient plus à les prendre en charge. Les trop rares guichets de Réclamation en Santé des Conseils territoriaux de santé (3 en France) constatent, comme c’est le cas en Essonne, une aggravation inquiétante des violences administratives. On assiste à une rupture généralisée du dialogue avec les institutions qui ne répondent plus aux demandes et ne reçoivent plus les personnes en difficultés. La prise en charge des familles en situation de précarité : parents isolés, aidants de personnes fragiles ou en situation de handicap fait défaut. La machine enregistre des dysfonctionnements quotidiens dans le suivi des patients non-Covid : consultations annulées sans prévenir, patients ballotés d’un service à l’autre, déprogrammation massive d’interventions, etc. Le renoncement aux soins sur lequel alertent médecins et associations depuis plusieurs mois s’aggrave malgré les hurlements et les vaines promesses. Sans médecin traitant disponible et par crainte d’être malmenés par le système, des milliers de citoyens s’effacent de leur droit à la considération de leur santé.

Déjà lors de la première vague nous manquions de lits de réanimations, nos hôpitaux étaient exsangues, les personnels soignants (pas les administratifs) manquaient à l’appel. Le virus revenu encore plus fort, tout continue à faire défaut. Qu’on se rassure, l’Administration veille ! Il suffira de priver toute une population de livres, de sorties, de culte et de culture, qualifiée par ces incarnations de la kakistocratie (5), que sont nos technocrates politisés et leur servile bureaucratie, d’activité « non essentielle » et d’annuler les congés de nos soignants pour masquer (si on ose le dire) une fois encore leur calamiteuse gestion de la crise sanitaire !

Le système sanitaire, qu’il ne faut pas confondre avec celui de la santé, malgré les 700 milliards de notre système de protection sociale et les milliards ajoutés, agonise lui aussi des trous béants dans une raquette des trop nombreux oubliés (publics les plus précaires, psychiatrie…). Elle se double d’un échec patent des réponses apportées à la crise Covid que l’ignorance est loin d’expliquer : l’absence de prise en compte de mesures scientifiques comme les études des eaux usées comme outil de prévision fiable (6), plusieurs graves entraves à la liberté de prescrire que peuvent prodiguer les médecins (7), des conseils totalement inadéquats voire dangereux, des tests organisés çà et là sans méthode ni couverture territoriale rationnelle mais pour permettre au gouvernement de communiquer des chiffres plus ou moins exacts à cause des errements informatiques sans se soucier du fait que les résultats sont encore donnés bien trop tard, que règne l’inorganisation voire l’absence totale d’isolement des personnes positives et que l’on pénalise les malades en leur maintenant les jours de carence … On ne reviendra pas sur la suppression de la distribution de masques aux soignants hors hôpital et aux personnes fragiles à partir de début octobre alors que tout indiquait une reprise de l’épidémie !

Petits, les commerçants sont eux aussi sacrifiés

En ce dimanche soir 1er novembre, après les annonces faites par le Premier ministre de refuser la réouverture des commerces de proximité, il était criant que la bronca des fédérations d’élus locaux, l’AMF, l’AMIF et France Urbaine, et les fédérations professionnelles représentant les commerçants n’ont pas été entendues par M. Castex. Le « Monde d’Après » dessiné par l’Elysée jurait que les élus locaux seraient désormais au centre des décisions de l’État, érigeant le couple Maire-Préfet comme la nouvelle idylle d’une République rénovée.

À vouloir sanctionner sans logique une partie de la population – en l’occurrence nos petits entrepreneurs – on l’embrase. On voit aujourd’hui infuser dans l’opinion publique l’idée que cette guerre contre la Covid, qui se concrétise dans le quotidien des Français par des fermetures aléatoires, incomprises, inéquitables de nos commerces, est tout simplement inepte, injuste et devient objet de divisions. La « gilet-jaunite » des petites entreprises est une terrible affection qui a déjà frappé l’électeur. Il n’existera jamais de gestes barrières contre cette co-morbidité politique si ce n’est d’éviter le sacrifice de l’économie et de la liberté de vivre de son activité entrepreneuriale. Déjà frappé par les grèves du transport public et le mouvement des gilets jaunes, le commerce se meurt un peu plus chaque jour. Passez messieurs les dirigeants le nez par la fenêtre et humez l’odeur des 100.000 faillites s’ajoutant aux actuelles (8) défaillances d’entreprises selon les estimations de l’OFCE.

Pendant ce temps, le commerce après l’industrie pique du nez et promet des centres-villes morbides aux boutiques bardées de rideaux de fer baissés. Tout cela se déroule sous le regard impuissant de nos élus locaux, tout particulièrement les Maires qui tentent avec ardeur mais sans armes réglementaires adaptées de redonner à l’État sa raison perdue et le respect des principes de justice et d’égalité !

Ces maires à qui l’État promettait la co-décision avec la nomination d’un nouveau Premier ministre, sont comme Joe Dassin sur la colline à pleurer plus qu’à siffloter tandis que leurs commerçants, leurs entrepreneurs, tout comme les personnels de santé se désespèrent. Il est invraisemblable que pratiquer la maltraitance des populations les plus fragiles comme les pouvoirs publics le font désormais, puisse jamais préserver la santé des Français !


(1) Sigmund Freud, « Psychologie des foules et analyse du moi » (1921), in Essais de psychanalyse.

(2) Les oiseaux se cachent pour mourirColleen McCullough, Jacqueline Lagrange : BELFOND

(3) Communiqué 9 novembre 2020 du Conseil Territorial de Santé de l’Essonne.

(4) Définition officielle de la santé par l’OMS.

(5) Gestion du Covid-19 : un modèle de Kakistocratie, où règnent les médiocres, Revue Politique et parlementaire, 26 juin 2020.

(6) Conférence du Professeur Didier Sicard organisée par Eau de Paris sur l’épidémie de COVID-19.

(7) Le décret du 26 mars 2020 (art. 12-1) a créé un régime spécifique qui enfreint sans aucune raison le droit de prescrire prévu par la Loi Bertrand (art. L.5121-12-1 du code de santé publique).

(8) Dynamique des défaillances d’entreprises en France et crise de la Covid-19 – Mattia Guerini, Lionel Nesta, Xavier Ragot, Stefano Schiavo Sciences Po, OFCE – Page 21.

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