Capitalisme pandémique

La pandémie est l’occasion de l’approfondissement du capitalisme néolibéral.

Mireille Bruyère  • 2 décembre 2020
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Capitalisme pandémique
© Frédéric Scheiber / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Pour l’instant, loin de marquer une rupture, la crise sanitaire est plutôt l’occasion de l’accélération du capitalisme, dont le symbole le plus évident est le renforcement considérable du pouvoir du gouvernement en matière économique. On trouve beaucoup de textes qui s’interrogent sur le monde d’après, sur une bifurcation souhaitée ou en cours. Pour se questionner ainsi, il faut définir ce que l’on entend par capitalisme néolibéral. Ce n’est pas seulement l’extension des marchés et de la marchandisation, ni la financiarisation des entreprises, ni encore la seule globalisation productive des firmes. Tous ces phénomènes sont liés par une logique institutionnelle d’ensemble : le rapport social de production capitaliste. On appelle capitaliste la société qui se définit principalement par ce rapport de production. Le capitalisme veut et croit pouvoir tout fabriquer sur le mode industriel par la rationalisation. Il est donc fondé sur le délire imaginaire qu’il serait possible de tout maîtriser par la technologie. Ce rapport social de production a rencontré et rencontre toujours des contestations sociales et des limites matérielles. Jusqu’à présent, ces contestations ont été l’occasion de transformer le capitalisme afin de le maintenir, voire de l’approfondir.

La pandémie est aussi l’occasion de son approfondissement. Rappelons les coordonnées du capitalisme néolibéral actuel : États autoritaires au service de ce rapport de production, globalisation des firmes et approfondissement de l’exploitation des salariés, extension de la logique managériale à tous les secteurs, dont les services publics. Le plan de relance qualifié de politique de l’offre est une politique massive de soutien du rapport de production capitaliste. Il mise sur l’accélération des transformations technologiques nommées « processus de destruction créatrice ». Mais il ne crée rien, il remplace du vivant par du mort (travail et nature).

On constate trois phénomènes liés. Premièrement, la gestion de la crise sanitaire approfondit l’aliénation au travail en délitant les collectifs par le télétravail. Pour être maintenu productif, malgré la distanciation physique et la suppression des collaborations informelles, le travail doit être réduit à un ensemble de tâches explicites et prévisibles pour passer en télétravail. Deuxièmement, les liens sociaux vivants et essentiels mais non directement productifs (vie culturelle, festive, liens familiaux et amicaux) sont réduits, voire interdits. Troisièmement, l’accélération de la numérisation de tous les rapports sociaux, ainsi intégrables dans le rapport social de production capitaliste. Dans l’industrie, les plans de rationalisation par numérisation et autonomisation programmés à long terme sont avancés avec l’aide de l’État, qui endosse leur dette sociale grâce à l’open bar du chômage partiel. La numérisation s’accélère aussi dans les services comme le commerce. Mais ce secteur ne sera concurrentiel qu’à la condition de réduire le travail vivant. Ce n’est pas parce qu’une boutique de prêt-à-porter ou une librairie met en place un service de vente en ligne qu’elle pourra concurrencer Amazon. Elle doit aussi supprimer des emplois en rationalisant. C’est la logique profonde du rapport social de production capitaliste : la rationalisation technologique de la production en réifiant tous les « facteurs de production » vivants, c’est-à-dire le travail humain et la nature.

Mireille Bruyère Membre du conseil scientifique d’Attac.

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