Christophe Meierhans : Acteur toi-même

Par ses pièces interactives, l’artiste déconstruit la perception commune de la gouvernance et de la démocratie. Avant d’appliquer la recette à sa propre pratique, en tant que militant d’Extinction Rebellion.

Patrick Piro  • 16 décembre 2020 abonné·es
Christophe Meierhans : Acteur toi-même
De provocation en démonstration, l’habile solo fait émerger un modèle de sociocratie très articulé.
© Sébastien de Ville de Goyet

On vous avait chaudement recommandé cette pièce « politique et maligne ». Or donc, c’est un olibrius qui explique sa trouvaille démocratique devant un rétroprojecteur : des scrutins non pas pour élire, mais pour disqualifier les exécutifs. Avec ses airs de dégagiste naïf, Christophe Meierhans a chauffé la salle en moins de deux, et l’on imagine déjà des tomates voler car l’artiste a précisé qu’on pouvait « l’interrompre à tout moment ». Deux heures et demie plus tard, c’est lui qui propose « d’en rester là », car la salle est bien partie pour prolonger la performance toute la nuit.

Some Use for your Broken Clay Pots (1) passait au Nouveau Théâtre de Montreuil (93) quelques jours avant la présidentielle de 2017, et on aurait aimé vivre celle-ci sous le régime de la Constitution de Meierhans. Car il en a écrit une, 350 articles, avec l’aide de politistes et de juristes. Et si le principe de « disqualification » des ministres en est la porte d’entrée, il n’est pas la version collective du pouce baissé des arènes romaines : très encadré, il n’est valide qu’accompagné d’une Proposition citoyenne. Les ministres ? Des Chargé·es de bien commun. Que chacun·e peut devenir à son tour, par un processus amorcé par un tirage au sort puis des évaluations collectives dont toute personne peut s’auto–disqualifier si elle n’entend pas assumer de responsabilités.

De provocation en démonstration, l’habile solo fait émerger un modèle de sociocratie très articulé, aux antipodes d’un « tous pourris » plaintif. « Exit la délégation passive à un exécutif. La pièce promeut au contraire la responsabilité comme cœur de la vie en société », explique l’artiste suisse installé en Belgique.

Quelle gouvernance pour nos démocraties usées ? Les pièces de Christophe Meierhans tournent autour de la question. « Ce qui m’intéresse, ce sont les structures sous-jacentes qui nous conditionnent à notre insu. » Ainsi, Verein zur Aufhebung des Notwendigen (« Association pour la transcendance du nécessaire ») invite les spectateurs à cuisiner sur scène. « Sans chef, ils doivent dépasser leur vécu pour inventer une manière de s’organiser. » Avec Trials of Money (« Les procès de l’argent »), dix témoins (ex-banquier, sans-abri, millionnaire, psychologue, etc.) viennent relater à la barre la capacité de l’argent à modeler nos sociétés. L’argent : un outil « souvent perçu comme neutre alors qu’il est éminemment politique ».

Et puis, au passage de la quarantaine, Christophe Meierhans se fait son propre sketch. « J’étais frustré dans ma pratique. Mes pièces s’adressaient à des gens qui pensent tous de la même façon. Quelle contribution au changement ? » En 2019, il assiste à la première réunion du jeune mouvement écologiste Extinction Rebellion en Belgique. « J’ai senti que je pouvais être utile. » La militance « à côté » devient très vite un plein-temps. Il met sa carrière entre parenthèses. « L’organisation des actions avait beaucoup de similitudes avec la démarche de construction de mes pièces. Je le vivais comme un choix conséquent et une prolongation cohérente de mon expérience artistique. »

Holocratie : c’est le terme qui décrit la gouvernance d’Extinction Rebellion. « Une sorte de mouvement anarchiste coordonné par une délégation maximale des actions selon des mandats clairement définis. Pas de chefferie ni d’assemblée générale surplombantes : quiconque veut agir prend un rôle et assume ses décisions et ses actes, en pleine connaissance de l’ensemble de l’organisation. »

Au passage, l’artiste règle un compte avec lui-même. « La vraie différence avec ma pratique théâtrale, c’est que la construction des actions, à Extinction Rebellion, n’est pas estampillée “Christophe Meierhans”. C’est un travail donné au collectif, anonyme, quelle que soit l’énergie que l’on y consacre. Personne n’est irremplaçable. Alors que sur scène, c’est tout le contraire ! Être seul au centre des attentions, ça joue sur le psychisme ! »

Pour autant le rideau n’est pas encore tombé pour l’artiste. L’espace de performance en ligne 1000 Scores lui a commandé une « partition », synopsis d’une œuvre d’art pédagogique à réaliser par une ou plusieurs personnes. Time for Answers (« L’heure des réponses ») consiste à confronter un adulte à seize questions posées par un enfant sur l’effondrement écologique. Peut-être en fera-t-il une pièce plus tard. Il a également été sollicité pour donner des conférences sur ce sujet. Là encore, Christophe Meierhans accueille ces étapes « comme une nouvelle synthèse personnelle entre l’art et la militance, quelque part entre Some Use for your Broken Clay Pots et Extinction Rebellion ».

(1) « De l’utilité des tessons de poterie » (Meierhans propose son art dans quatre langues, selon les scènes) : en Grèce antique, qui voulait exclure un dirigeant gravait son nom sur un morceau de céramique, expression d’un contre-pouvoir populaire aux excès des politiques.

Société
Publié dans le dossier
Gouverner sans chef, c'est possible
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