Gouverner sans chef, ils l’ont fait ! Euskal Moneta : Paye ton commun
« La coopération, ça ne se décrète pas, ça se crée petit à petit. »
dans l’hebdo N° 1632-1634 Acheter ce numéro
Le commun, c’est bien beau, mais quand il faut gérer l’équivalent de 2 millions d’euros de monnaie en circulation en mettant autour d’une même table 24 collectivités locales, un millier de professionnels, une cinquantaine de bénévoles, 3 800 utilisateurs et 13 salariés, mieux vaut être bien arrimé à ses principes. C’est le défi qui s’est imposé à Euskal Moneta, l’association qui émet l’eusko, monnaie complémentaire et citoyenne basque lancée fin 2013, laquelle a progressivement atteint une dimension impressionnante. Au fur et à mesure que les usagers convertissent leurs euros en euskos (1), que les petits commerçants et producteurs s’affilient au réseau et que les collectivités amplifient le mouvement, l’instrument militant se voit confronté à des défis importants. Il faut par exemple statuer chaque mois sur l’inclusion de nouveaux commerçants et producteurs, en jugeant de leur conformité à la charte sociale et environnementale de la monnaie complémentaire. Il faut également trancher l’épineuse question juridique du passage au numérique, en 2017.
L’association loi 1901 s’est donc dotée d’un modèle complexe de gouvernance qui doit permettre à chaque membre du réseau de prendre sa part. Au quotidien, c’est l’équipe de 13 salariés qui mène la barque, mais elle doit respecter une feuille de route votée en assemblée générale et se soumettre au contrôle de toutes les parties prenantes. La base de cette pyramide est composée de sept collèges offrant une voix à toutes les composantes du projet (2) – dont un panel d’associations chargées de veiller au respect des valeurs fondatrices. Ce sont ces collèges qui votent les grandes orientations et élisent des représentants au comité des collèges, équivalent d’un conseil d’administration. Celui-ci examine la mise en œuvre des décisions et élit à son tour les deux têtes de la gouvernance : le comité d’agrément, qui examine les candidatures des professionnels, et le comité de pilotage, qui veille au grain. « C’est ce dernier qui a le pouvoir, il était donc important qu’il soit pluraliste pour la légitimité politique du projet », raconte Dante Edme-Sanjurjo, cofondateur et aujourd’hui directeur général d’Euskal Moneta. Ses 13 membres ont été choisis par cooptation, pour leur engagement ou leurs compétences, et élus par le comité des collèges. « En grandissant, nous n’avions pas assez de compétences pour tout gérer, car nous sommes tous des militants. Nous avons donc voulu nous sécuriser en allant chercher des gens en qui nous avions confiance. Ils ont presque tous accepté. »
Si cela fonctionne, selon le directeur général, c’est grâce aux « interconnexions »que les membres du comité de pilotage ont tissées au sein d’un réseau militant enraciné dans un territoire très intégré, le Pays basque._ « Le principe de commun a toujours été très présent ici, et la notion de territoire est archi-fondamentale pour un projet comme le nôtre. On s’aperçoit d’ailleurs que les projets portés par les institutions fonctionnent rarement. La coopération, ça ne se décrète pas, ça se crée petit à petit. »L’enjeu réside aussi dans la définition claire des rôles de chacun et des règles de fonctionnement du commun. « Il ne faut pas empiéter sur les prérogatives d’une instance, sinon elle va se sentir désinvestie »_, recommande le militant.
(1) 1 eusko = 1 euro, les euskos étant reconvertibles en euros uniquement par les entreprises, moyennant 5 % de commission.
(2) Utilisateurs, entreprises, bénévoles, associations garantes des valeurs fondatrices, bénéficiaires du « 3 % de solidarité », collectivités et salariés.