Gouverner sans chef, ils l’ont fait ! Youth for Climate : horizontalité et autonomie
« On n’a pas peur du mot “politisés”, ce serait même contre-productif de le nier. »
dans l’hebdo N° 1632-1634 Acheter ce numéro
Vendredi 15 mars 2019, près de 200 000 collégien·nes, lycéen·nes et étudiant·es français·es ont séché l’école pour dénoncer l’inaction des adultes face à l’urgence climatique. En France, Youth for Climate (YFC) a spontanément organisé les marches, mais le nouveau mouvement a dû rapidement réfléchir à ses contours. Lors de sa première assemblée nationale à Nancy, en avril 2019, la question « faut-il ou non structurer et organiser notre mouvement ? » s’est posée d’emblée. Le fait même de s’interroger prouve que le modèle traditionnel des associations ou des syndicats n’était pas une évidence. Pourtant, Anne-Laure Romanet, facilitatrice de mobilisations citoyennes qui a accompagné le mouvement dès ses débuts, raconte (1) que les deux coordonnateurs des marches « avaient recréé malgré eux une structure pyramidale » : « Ils étaient déchirés entre la peur de voir leur mouvement s’éteindre s’ils lâchaient du lest et les critiques qui leur étaient faites sur leur mode de fonctionnement. Nous avons donc fait un gros travail avec eux pour remettre le pouvoir au centre et les aider à définir le fonctionnement et l’organisation du mouvement. » Un fonctionnement qui s’appuie beaucoup sur les réseaux sociaux pour mobiliser et passe par la plateforme Discord pour l’organisation interne.
Horizontalité et autogestion sont les piliers de YFC France pour atteindre leur idéal démocratique, et des groupes de travail libres d’accès ont été mis en place pour plusieurs thématiques (mobilisation, plaidoyer, désobéissance civile, gouvernance, communication…). D’autres valeurs ont été spontanément adoptées : la parité, la transparence et l’absence d’adhésion à un parti politique. « On n’a pas peur du mot “politisés”, ce serait même contre-productif de le nier. Mais, à YFC, on ne défend ni un parti ni une idée politique, mais une idée qui nous appartient », explique Lucie, membre de YFC Chambéry. Des valeurs écrites dans deux textes de référence : d’abord la charte de Lausanne, un socle international élaboré par plus de 400 activistes de 38 pays en août 2019, puis la charte de Grenoble, adoptée à l’échelle nationale quelques mois plus tard par tous les groupes locaux. « Ces discussions nous ont permis d’aller plus loin dans nos objectifs ou stratégies. Nous avons décidé de parler d’inclusivité, c’est-à-dire d’être alliés des luttes féministes, antiracistes, décoloniales, antispécistes, antivalidistes, etc., car nous considérons que la façon dont l’écologie est gérée est aussi une forme d’oppression, détaille Lucie. Nous avons également parlé d’équité et de diversité des tactiques. »
Car l’autre fierté du mouvement est l’autonomie de ses groupes locaux. Ainsi, les membres de YFC Chambéry se sont opposés à la construction d’un parking en plein centre-ville, en occupant pendant quatre jours le sommet d’une grue pour paralyser le chantier. En février 2020, une action au siège parisien du gestionnaire d’actifs BlackRock a jeté une lumière nouvelle sur le mouvement écologiste : une centaine d’activistes pour le climat, emmenés par le mouvement YFC Paris-Île-de-France, ont investi les bureaux pendant deux heures. « YFC France soutient la base de revendications. Ensuite, le mode d’action ne concerne que les personnes qui y ont participé : chacun décide des risques qu’il veut prendre, selon ses idées et ce qui lui semble juste », explique Lucie. Une autonomie qui permet de renouveler le mode d’action des marches, qui s’essouffle, de trouver des alliances mais qui pose une nouvelle question qui pourrait diviser le mouvement : où placer le curseur de la radicalité ?
(1) Dans la revue Projet, mai 2020.