Jeunes communistes : La fougue de leurs cent ans
Depuis sa fondation en novembre 1920, le Mouvement jeunes communistes de France a vécu plusieurs évolutions, mais conserve intact son socle idéologique… et des rapports complexes avec la maison mère.
dans l’hebdo N° 1632-1634 Acheter ce numéro
Pulls noirs, vestes noires, regards noirs. Sur les photos sans couleur, les visages des jeunes communistes fixent sévèrement l’objectif. En 1920, c’est dans une époque marquée par l’après-guerre et la révolution russe que naît la Fédération des jeunes communistes de France, dont subsistent quelques clichés, et qui deviendra dans les années 1950 le Mouvement de la jeunesse communiste de France (MJCF). Puis viendra le temps du Front populaire, de Mai 68, la fin de l’URSS… Un siècle durant, le mouvement évoluera au fil des événements historiques et à mesure que se redéfinit la place des jeunes au sein de la société. De nos jours encore, la « JC » reste l’une des principales organisations politiques de jeunesse, engagée au sein des mobilisations actuelles. Si sur les selfies d’aujourd’hui les mines sont moins graves, le mouvement traverse pourtant une nouvelle période de turbulences, qui résonne avec ses crises passées.
Dès le début, le MJCF naît d’une rupture. Poussée par les succès des bolcheviks et la participation des socialistes au gouvernement d’Union sacrée, une importante majorité des « jeunes socialistes » vote pour adhérer à la IIIe Internationale et devenir progressivement « jeunes communistes ». À l’époque, l’organisation ne pèse pas lourd, à peine quelques milliers de militant·es, venant principalement du milieu étudiant. En 1936, le Front populaire, période faste pour toute la gauche, bénéficiera aussi à la structure. Elle attire plus de 50 000 jeunes, dont une grande part issue de la classe ouvrière. En dehors des périodes de mobilisation, la JC assume alors pleinement son rôle d’organisation de masse : les jeunes communistes organisent des activités ludiques, comme des bals populaires ou des randonnées. « Pour le mouvement, c’est une voie de politisation importante », explique l’historien Guillaume Roubaud-Quashie. « La JC offre à l’époque un espace ou les jeunes de milieux populaires peuvent se retrouver, dans un monde où le poids de l’autorité parentale est encore très fort. C’est aussi un espace de formation, où l’on étudie l’histoire, la sociologie ou les relations internationales. »
Au tournant des années 1960 s’amorcent des changements profonds au sein de la structure familiale. L’étau se desserre autour des jeunes. Progressivement, les sorties du MJCF perdent de leur attrait, l’encadrement des jeunes travailleurs et travailleuses se délite. À l’inverse, la branche étudiante du mouvement, l’Union des étudiants communistes (UEC), connaît une forte augmentation de ses adhésions. À mesure que l’UEC devient influente, ses dissensions avec le Parti communiste français éclatent au grand jour ; d’abord via les publications de l’UEC, comme le journal Clarté, puis dans la presse « bourgeoise » classique. C’est aussi le temps des « purges » au sein de l’organisation, visant principalement les trotskistes. Puis la participation massive aux événements de Mai 68. La JC dans son ensemble, branche étudiante comprise, -comptait alors près de 37 000 membres, estime Guillaume Roubaud-Quashie : « C’est un moment de politisation massive de la -jeunesse, dont profite évidemment la JC. Dès la fin de la décennie, les lycéen·nes et les étudiant·es sont majoritaires, comme ils l’ont été à ses prémices. »
Depuis cet âge d’or, le MJCF a connu une baisse continue de son nombre d’adhérent·es et plusieurs crises. De son côté, le PCF, en pleine phase de mutation, enchaîne les revers. Au début des années 2000 s’enclenche un regain de tensions entre le PCF et l’organisation de jeunesse, qui en ressort affaiblie. « On s’est reconstruits depuis, même si on n’est évidemment pas aussi forts qu’à l’époque de l’après-guerre, affirme l’actuel secrétaire général de la JC, Léon -Deffontaines. Les mobilisations récentes, comme celles contre la loi travail ou Parcoursup, ont été l’occasion de nous renforcer. »
Avec la démocratisation et la massification de l’enseignement supérieur, la forte proportion d’étudiant·es au sein de la JC ravive les dissensions sur la question de l’autonomie de l’Union des étudiants communistes. Début 2019, le congrès du MJCF se déroule dans un climat de tensions. Récemment, le secrétaire général du PCF, Fabien Roussel, proposait une médiation entre les deux structures.
« Il n’a jamais été aussi utile d’avoir une branche étudiante forte et de nous organiser politiquement au sein des campus », tranche la secrétaire nationale de l’Union des étudiants communistes, Anaïs Fley. Pour la structure qu’elle dirige, les années 2016 à 2018 ont été des années d’engagement intenses, avec une participation soutenue des sections de l’UEC aux AG dans chaque grande ville universitaire. Depuis, le soufflé est retombé. Excepté la mobilisation contre l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers, les campus restent calmes ; dans le contexte de confinement progressif des universités, la situation ne devient pas plus vivante. « La difficulté, c’est de réussir dans ces périodes de creux à créer des campagnes, quand il n’y a rien qui anime la vie étudiante. C’est ce qu’on tente de faire en ce moment, en lançant une pétition pour un revenu étudiant. »
Purges, prolétaires, camarades… De son grand âge, le mouvement de jeunesse conserve aussi un lexique propre, devenu plus que centenaire. Pas obsolète pour autant, estime la militante rennaise Elsa Koerner : « Le but n’est pas d’être dans le folklore, il n’y a aucune fétichisation des termes. Tant que les mêmes rapports de domination existent, ces termes et l’analyse marxiste seront toujours pertinents pour analyser le réel. » Coordinatrice au sein de la JC d’Ille-et-Vilaine, elle s’est engagée dans le Mouvement jeunes communistes lors du second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, en 2017. À l’époque, elle débarque à Rennes pour un stage de fin d’études, sans bien connaître le milieu militant local. « Aujourd’hui, j’en suis l’une des plus anciennes. Parmi celles et ceux qui étaient là avant moi, la plupart s’éloignent lorsqu’une mobilisation prend fin. Qu’ils rejoignent le syndicat de leur entreprise ou que leurs études les mènent vers d’autres villes. » Aux méthodes d’organisation moins formelles des structures politiques de jeunesse comme les Jeunes Insoumis·es et les Jeunes Génération·s, elle préfère la « verticalité organisée ». « Un fonctionnement avec des mandats clairs et transparents me semble beaucoup plus démocratique que des mouvements gazeux. Chez les jeunes insoumis·es que je connais, par exemple, personne n’était au courant de la décision de Jean-Luc Mélenchon de proposer sa candidature pour 2022. »
Plus que les querelles de tendances ou de sections, c’est la mollesse des instances de la JC sur la question des violences sexuelles qui noircit son image. En janvier 2018, Le Monde crée le scandale en révélant le témoignage de cinq membres du MJCF et de l’UEC ayant été victimes d’agressions sexuelles. Les espaces de camaraderie comme les camps d’été ou le local d’une section apparaissent alors comme des terrains de chasse potentiels pour les militants accusés de viols. Progressivement, d’autres témoignages affluent et révèlent l’ampleur des violences sexuelles qu’ont subies les militantes au sein du mouvement. En parallèle, les instances dirigeantes apparaissent léthargiques, incapables de prendre rapidement les mesures nécessaires afin d’écarter les agresseurs de leurs victimes. Jamais la question n’aura été discutée aussi directement dans l’histoire des jeunes communistes. « Nous devons lutter contre ces violences, d’autant plus dans nos organisations qui souhaitent permettre aux femmes de mener la révolution », souligne Anaïs Fley, qui plaide pour une accession plus large des femmes aux postes de direction. « Quand je suis arrivée à Rennes, j’ai vu assez vite des comportements sexistes, ça a pu dissuader une militante de rester dans le groupe, raconte Elsa_. En ce qui me concerne, je me suis dit que ce n’était pas aux militantes de partir, mais à celui qui posait problème. Deux semaines après, il était exclu. »_