Loi « séparatismes » : L’islamisme ciblé très large

Loin de son objet initial, les « séparatismes », la loi sur les « principes républicains » s’attaque à plusieurs fondements des libertés françaises. Appuyé par un discours délirant de la macronie.

Michel Soudais  • 9 décembre 2020 abonné·es
Loi « séparatismes » : L’islamisme ciblé très large
© Thomas COEX / AFP

C’est, paraît-il, l’un des derniers textes majeurs du quinquennat. Et pas le moins controversé. Le « projet de loi confortant les principes républicains » que le Conseil des ministres devait adopter mercredi 9 décembre, jour anniversaire de la loi sur la laïcité de 1905, ambitionne de fermer les angles morts de la République face à l’islamisme radical et au terrorisme jihadiste. Pour éviter d’apparaître comme stigmatisant l’ensemble des musulmans, le titre de la loi, dont le projet est apparu il y a plus de deux ans, n’a cessé d’évoluer, évoquant tour à tour la lutte contre le « communautarisme », puis contre les « séparatismes », avant ce nouvel intitulé adopté après le discours d’Emmanuel Macron le 2 octobre aux Mureaux, dont ce projet de loi est, nous assure-t-on, la traduction législative.

Dénué de référence à la religion ou à la laïcité dans son titre, le texte cible toutefois bel et bien l’islamisme avec une batterie de mesures qui font craindre aux représentants des quatre principales religions des effets collatéraux : neutralité des services publics étendue aux délégataires, contrôle accru du préfet sur les maires, contrat d’engagement républicain imposé aux associations subventionnées, élargissement du pouvoir de dissolution d’associations suspectes de radicalisation, renforcement de la transparence des conditions de l’exercice du culte, scolarisation obligatoire dès l’âge de 3 ans, création du délit de haine en ligne, ajouté après l’assassinat du professeur Samuel Paty, etc.

Comme bien des lois adoptées depuis 2017 dont les intitulés, miracle de la novlangue macronienne, étaient l’exact contraire de ce que leur contenu allait produire, gageons que ce projet de loi confortera moins les principes républicains qu’il ne les affaiblira. Ses 57 articles modifient quatre de nos grandes lois de libertés : celles de 1881 sur la liberté de la presse, de 1882 sur l’instruction primaire obligatoire, de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, et de 1907 sur l’exercice public des cultes. Pratiquement tous les droits et libertés publiques garantis par la Constitution et les conventions européennes sont concernés, constate le Conseil d’État dans son avis. S’il approuve la volonté du gouvernement d’« apporter une réponse à des phénomènes de repli communautaire, de prosélytisme et d’affirmations identitaires et fondamentalistes, indifférents ou hostiles aux principes qui fondent la République et aux valeurs qui les inspirent », il soulève néanmoins des « questions de conformité à la Constitution » de certaines parties du texte. C’est le cas notamment de la suppression de la possibilité d’instruction dans la famille. Il s’interroge encore sur la nécessité d’« imposer des contraintes importantes » aux associations cultuelles ou à objet mixte de toutes confessions, alors que leurs « agissements, de même que le comportement des ministres du culte et des fidèles, sont dans leur grande majorité respectueux des règles communes ». Émet de sérieuses réserves sur la possibilité pour le préfet d’engager un référé-suspension contre des décisions d’élus locaux, considérant que le texte, en l’état, « modifie de façon excessive l’équilibre du contrôle administratif et du reste des lois par les collectivités territoriales ».

S’il discute du caractère proportionné ou non des mesures en regard des libertés, l’avis du Conseil d’État ne dit rien en revanche des objectifs ubuesques du texte ainsi vanté par Marlène Schiappa dans un entretien à L’Express (5 décembre) : _« Un maire ne pourra plus décider de subventionner une association qui fait l’apologie du terrorisme ; il ne pourra pas prendre des décisions en fonction de raisons religieuses, comme manger obligatoirement halal ou cacher dans les cantines scolaires ; ou encore décider qu’il n’y aura plus de livres de science dans la bibliothèque municipale mais uniquement des livres complotistes… » Et quand nos confrères lui demandent s’« il y a beaucoup de cas comme ça », la ministre déléguée à la citoyenneté admet qu’« il n’y en a pas », avant d’ajouter : « Mais nous voulons réduire la possibilité que cela arrive à l’avenir. »

Un principe de précaution poussé à l’extrême qui ne peut reposer que sur une surveillance généralisée. Trois décrets discrètement publiés le 4 décembre, en plein mouvement contre la loi « sécurité globale », vont y contribuer : ils étendent le champ de collecte de fichiers de police GIPASP (1) et PASP (2), jusqu’ici limitée aux données sur les activités des personnes, aux « opinions politiques », « convictions philosophiques, religieuses ou une appartenance syndicale ». Les fichiers s’intéresseront désormais également aux personnes morales (les associations en sont) et aux groupements.

(1) Gestion de l’information et de la prévention des atteintes à la sécurité publique.

(2) Prévention des atteintes à la sécurité publique.

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