Notre ami le dictateur
Égypte, Turquie, Libye… Derrière ces affaires croisées, il y a notre dépendance à l’industrie d’armement et une culture officielle crispée dans un monde qui bouge.
dans l’hebdo N° 1632-1634 Acheter ce numéro
À l’occasion de la visite du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, le protocole élyséen a inventé un genre nouveau de cérémonie : la remise clandestine de Légion d’honneur. Ou, si l’on préfère, la Légion d’honneur honteuse. Finalement révélé, l’événement a été particulièrement mal reçu en Italie, où l’on n’a pas oublié l’assassinat en 2016 du jeune sociologue Giulio Regeni, qui travaillait sur les syndicats égyptiens, et dont le corps mutilé a été retrouvé près du Caire une semaine après son enlèvement. Un cas parmi des dizaines d’autres, opposants au régime, journalistes, démocrates, militants des droits humains. Les geôles du maréchal Sissi comptent plus de soixante mille prisonniers politiques. Amnesty International parle aussi d’une « frénésie d’exécutions » : 57 pour les seuls mois d’octobre et de novembre. Tel est l’homme auquel Emmanuel Macron adressait de fraternelles tapes dans le dos. On a beau savoir depuis Saint-Just qu’« on ne gouverne pas innocemment », on est pris de nausée. Mais pourquoi cette Légion d’honneur et ces gestes empressés ? La première réponse qui vient est évidemment le juteux commerce des armes. L’Égypte possède le catalogue complet de la maison Dassault. On parle de sept milliards d’euros depuis 2009. Des avions de chasse Rafale et des missiles Crotale que l’Égypte n’a pas manqué d’utiliser pour tenter d’écraser la rébellion au Yémen et les populations alentour. Face à cela, que pèse le beau geste symbolique du journaliste et écrivain italien Corrado Augias, qui est allé à l’ambassade de France à Rome rendre sa Légion d’honneur ?
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Après une petite pause pour finir une année que l’on ne regrettera pas trop, on se retrouve en 2021. Bonnes fêtes à toutes et à tous.
Aujourd’hui, la France milite pour le renforcement des sanctions économiques. Sans grand succès, parce que l’Allemagne redoute qu’Erdogan pousse vers l’Europe, comme il l’a déjà fait, des dizaines de milliers de réfugiés syriens qu’il retient dans ses camps depuis le cynique pacte migratoire signé avec l’Union européenne en 2016. Nous voilà donc bien seuls ! Il n’y avait pourtant pas de fatalité pour que la France soit en première ligne face à l’ambitieux et belliqueux Erdogan. Pas de fatalité pour qu’elle s’isole de l’Union européenne. Derrière ces affaires croisées, il y a notre dépendance à l’industrie d’armement et une culture officielle crispée dans un monde qui bouge. Reconnaissons que tout, aujourd’hui, est plus compliqué. La Turquie est l’exemple même de ces nationalismes qui font et défont leurs alliances au gré de leurs intérêts immédiats. Membre de l’Otan, elle est désormais avec la Russie en Syrie ou dans le Caucase, mais s’oppose à elle en Libye où Poutine soutient Haftar… Quant à Erdogan, il emprisonne lui aussi ses opposants, et prête la main en toutes circonstances au massacre des Kurdes ou des Arméniens. S’il n’est donc pas question de le soutenir, il n’est pas utile non plus de lui fournir des prétextes. Enfin, on ne peut parler du Moyen-Orient sans dire un mot de la Palestine. Voilà que la France prend le parti d’ignorer la décision de la Cour européenne des droits de l’homme qui lui enjoint de reconnaître le droit au boycott des produits israéliens comme une liberté d’expression. La France choisit mal ses amis.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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