SNCF : le désarroi des conducteurs franciliens face aux réorganisations
Les grands chantiers préparant l’ouverture à la concurrence sont vécus comme une régression, prévient une expertise que Politis a pu consulter. Une partie des conducteurs des lignes B, H et K étaient en grève le 14 décembre.
Ce n’est pas la foule des grands jours, ce lundi matin devant les bureaux de la Gare du Nord, lieu habituel des assemblées générales de cheminots. Autour d’une trentaine d’agents, les syndicats dénombrent un peu moins d’un conducteur sur deux annoncé en grève, sur l’unité de la Gare du Nord dédiée aux lignes B, H et K. Le mouvement ponctuel de colère aura d’ailleurs été imperceptible par les usagers, la SNCF ayant eu recours aux services du Pool Fac, qui permet de remplacer des conducteurs absents ou grévistes.
Pourtant, le malaise est diffus parmi les conducteur·ice·s francilien·ne·s, face à la réorganisation de leurs roulements. « Des mecs en colère, on en croise tous les jours. Personne n’est content, mais personne ne bouge », souffle un syndicaliste cheminot. « Nos permanences ne désemplissent pas, tout le monde se plaint, il va falloir trouver un moyen d’amplifier la mobilisation », ajoute un autre.
La réorganisation en question rattache les conducteurs à une seule ligne, alors qu’ils tournent actuellement sur trois tronçons, avec plusieurs types de machines. C’est une tendance de fond. La SNCF est tenue de séparer ses activités et segmenter sa « production », pour permettre l’ouverture d’appels d’offres, par lots, pour introduire de la concurrence.
L’Île-de-France est un nœud ferroviaire complexe, mais aussi le plus gros marché de la SNCF (12 milliards d’euros selon Le Monde). Il sera progressivement ouvert aux concurrents de la SNCF selon le calendrier voté le 9 décembre par Île-de-France mobilités. Les lignes du Transilien et du RER E seront les premières (entre 2023 et 2033) avant les RER C et D (à partir de 2032) et les lignes A et B (à partir de 2039).
Une régression, selon les agents de conduite
Les conducteur·ice·s vivent mal la perte de compétence induite par ce passage à des « roulements mono-lignes ». Leurs journées deviennent plus monotones, leurs plannings plus rigides et leur paye parfois moins fournie, pour celles et ceux qui quittent la ligne B, associée à des primes. La multi-compétence permettait de gagner en qualité de vie au fil d’une carrière. A contrario, la spécialisation induit des « risques psychosociaux » non pris en compte, estime le cabinet d’expertise indépendant Degest, diligenté par les délégués du personnel, dont Politis a pu lire le rapport :
Les agents indiquent qu’ils étaient fiers d’être cheminots, d’être « bons » sur de nombreuses lignes de Transilien, cette image s’est déjà dégradée
Ils soulignent également que la lassitude risque d’entraîner une perte de vigilance, qui pourrait impliquer la sécurité ferroviaire.
Contactée ce 14 décembre, le service de presse Transilien affirme que la réorganisation vise à « mieux répondre aux enjeux de chaque ligne », la B étant très urbaine alors que la H circule en grande couronne. « Cette organisation par ligne et communément pratiquée dans le monde du transport collectif, d’autres unités de SNCF travaillent en mono ligne mais également toutes les lignes de la RATP », fait valoir la filiale du groupe public ferroviaire, précisant que les éventuelles pertes de rémunération seront compensées. Elle ne commente toutefois pas les interrogations liées aux risques psychosociaux et à la sécurité ferroviaire. Des éléments qui n’ont pas contribué à rassurer les agents de conduites concernés.
Ce type de conflit local est légion, ces dernières semaines à la SNCF, comme à Lyon Perrache et Part-Dieu, mardi 15 décembre, sur fond de réorganisations en cascade.
À Austerlitz, Saint Lazare, Trappes et Le Mans, les conducteurs en grève se sont rassemblés et ont préparés les suites! Non à la dégradation de nos conditions de vie et de travail! pic.twitter.com/UN11NrLqTn
— CGTCheminotsTrappes (@CGTrappes) December 14, 2020
La compression de l’emploi atteint 6 % ces cinq dernières années et ne devrait pas s’arranger avec la crise du Covid, qui impacte lourdement les finances de la SNCF. Une destruction de 30 % des emplois dans les fonctions support et une suppression de 6 à 10 % des postes chez Fret SNCF serait notamment à l’étude, selon Le Monde.
Mise à jour, 15 décembre à 14 h : Les réponses du service de presse Transilien, reçues par mail après la publication, ont été ajoutées à l’article.
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