Sur les chaînes d’info, les politiques mis à l’épreuve

Pour les élu·es et personnalités de gauche, le rapport à ces chaînes a tout du dilemme : les boycotter et laisser l’extrême droite parler seule, ou y aller et risquer le traquenard.

Agathe Mercante  • 9 décembre 2020 abonnés
Sur les chaînes d’info, les politiques mis à l’épreuve
L’écologiste Sandra Regol sur le plateau de CNews, le 20 août 2020.
© DR

Claire Nouvian, fondatrice de l’éphémère mouvement Place publique, s’étouffe d’indignation, ce matin du mois de mai 2019. Sur le plateau de « L’Heure des pros », l’émission de Pascal Praud sur CNews, elle essuie les railleries de l’animateur, qui, pour décrédibiliser le « changement climatique », ne cesse de répéter, goguenard, « ce matin, il faisait – 3 °C dans les Yvelines ». Furieuse, la militante politique s’écharpe avec une Élisabeth Lévy en grande forme, sous le regard amusé de Jacques Séguéla, jamais en reste quand il s’agit de provoquer un buzz médiatique. La scène illustre à merveille le dilemme posé aux femmes et aux hommes politiques de gauche, que l’ancien coordinateur de Génération·s Guillaume Balas résume en une phrase : « Soit vous n’y allez pas, et il n’y a aucune contradiction sur ces plateaux, soit vous y allez et vous êtes une goutte d’eau dans un océan de propos d’extrême droite. »

« Quand on voit que, tous les jours, la parole est donnée à Élisabeth Lévy, à Valeurs actuelles_, au Rassemblement national, aux journalistes d’Atlantico, on ne peut pas se permettre de passer son tour »,_ explique un ancien du Parti socialiste. « Si on n’y va pas, alors qui ? » s’interroge Sandra Regol, numéro 2 d’Europe Écologie-Les Verts. LCI, CNews, BFMTV… l’ancienne porte-parole du parti a écumé les plateaux.  « C’est sûr que ça n’est pas aussi tranquille que de parler à Libération ou au Monde_, mais en même temps, ce n’est pas aux mêmes gens qu’on s’adresse : les personnes qui regardent ces chaînes n’appartiennent pas à la classe dominante française »,_ explique-t-elle. D’autant qu’au-delà des propos qui y sont tenus, intervenir sur CNews, LCI ou même BFMTV relève du parcours du combattant. « On peut être déprogrammé à la moindre avarie, on ne connaît pas toujours à l’avance les invités avec lesquels nous débattrons et les sujets sont souvent communiqués très tard », raconte-t-elle. D’autant que ces invités, contrairement aux chroniqueurs réguliers, ne sont pas rémunérés par les chaînes. Voilà pour le côté sombre.

Car la lumière se trouve aussi au bout du tube cathodique. « À force, on connaît les programmateurs, les journalistes, les animateurs, les rédacteurs en chef et tout le staff », indique un socialiste. Une humanité d’autant plus agréable que, souvent, les personnes qui appliquent ces lignes éditoriales ne les partagent pas. « Ils ne sont pas responsables de la ligne », rappelle Sandra Regol. « Quand ça dérape sur un plateau, la rédaction nous appelle ou nous écrit ensuite pour s’en excuser », confie-t-elle. Les esclandres sont plus rares qu’il n’y paraît et ces plateaux offrent à la gauche la possibilité de débattre, de contredire, de faire de la pédagogie sur leur programme. Mais qu’on ne s’y trompe pas : l’exercice reste difficile. Il est toutefois formateur : « On apprend beaucoup plus et beaucoup plus vite qu’en ne faisant que des médias aux lignes éditoriales moins partisanes », indique l’écologiste.

Pour les nouvelles et nouveaux entrant·es en politique, certains partis font un effort de formation. EELV dispose d’une boucle -WhatsApp pour informer les intervenant·es de l’actualité en temps réel et diffuse des éléments de langage, tandis qu’au PS « on demande les sujets qui seront abordés et on fait des fiches pour les porte-parole. » À condition, bien sûr, que la demande d’intervention soit faite aux partis, ce qui, dans les faits, est très rare.

Ce lien direct entre les personnalités politiques et les équipes de programmation des chaînes n’arrange pas les affaires de ceux qui souhaiteraient que les mouvements politiques aient une ligne claire sur la question. « Je pense qu’il faudrait que nous ayons tous une stratégie pensée. Soit on boycotte tous, soit on travaille ensemble à définir un discours spécifique quand on s’aventure sur ces plateaux », préconise Guillaume Balas. Et l’unité à gauche, on le sait, est aussi difficile à trouver sur ce sujet que sur beaucoup d’autres. Le 26 novembre, EELV a annoncé entamer un boycott de CNews. « Nous ne saurions continuer à cautionner, par la présence des écologistes sur cette chaîne d’information, des propos racistes, misogynes, homophobes ou climatosceptiques », indique la direction du parti. Et d’appeler « celles et ceux qui se reconnaissent dans les valeurs d’un débat républicain » à les imiter. Un vœu pieux ?