Dans le labyrinthe Pierre Bourdieu
Un dictionnaire interdisciplinaire et mondial actualise l’état des savoirs sur le sociologue français décédé en 2002.
dans l’hebdo N° 1637 Acheter ce numéro
Nous venons tout juste de commémorer les 25 ans du grand mouvement de novembre-décembre 1995, l’un des derniers où le pouvoir fut contraint de reculer devant l’ampleur de la mobilisation populaire. Et l’on se souvient que Pierre Bourdieu, titulaire de la chaire de sociologie du Collège de France et premier médaillé d’or du CNRS de sa discipline (en 1993), y joua un rôle fondamental, notamment en prenant la parole dans une assemblée générale des cheminots en lutte, à l’issue d’une grande manifestation à Paris.
Toutefois, on ne saurait uniquement considérer celui qui demeure l’auteur de sciences sociales le plus cité au monde comme un « chercheur militant », même si cela n’a rien de déshonorant. Car son œuvre, considérable, embrasse une multitude d’objets et de domaines de recherche, jusqu’à s’interroger sur la méthode scientifique en tant que telle (et la sienne au premier chef) dans deux de ses ouvrages les plus émouvants : Science de la science et réflexivité (2001) et Esquisse pour une auto-analyse (2004), aux éditions Raisons d’agir.
Il est ainsi bien difficile de dresser un portrait du sociologue, tant ses méthodes, ses analyses, ses passions aussi sont diverses, sensibles parfois, mais toutes exigeantes. C’est pourtant le défi que se sont lancé les 126 contributeurs, originaires d’une vingtaine de pays et parmi les meilleurs spécialistes de leur discipline (sociologie, philosophie, histoire, anthropologie, littérature, etc.), de ce Dictionnaire international Bourdieu, à travers quelque 600 notices.
Épaulée par un comité éditorial prestigieux (François Denord, Julien Duval, Mathieu Hauchecorne, Johan Heilbron et Franck Poupeau), avec Hélène Seiler comme coordinatrice, Gisèle Sapiro, éminente spécialiste en sociologie de la littérature et des traductions (1), elle-même ancienne élève de Pierre Bourdieu (comme beaucoup des collaborateurs de cette somme), a dirigé avec brio cette vaste entreprise. Si celle-ci traite bien sûr des concepts de la sociologie bourdieusienne (habitus, champ, agent, capital culturel, économique, symbolique, etc.) tout comme des principaux ouvrages du sociologue et des méthodes, approches et lieux ou institutions qui lui sont liés, elle présente aussi les auteurs et artistes sur lesquels Bourdieu a travaillé (Pascal, Heidegger, Husserl, Proust, Manet, Kafka…) ou avec qui il a débattu.
L’ouvrage apporte surtout des éclairages sur les liens ou la réception de Pierre bourdieu à travers le monde, du Japon à l’Amérique du Sud, du monde arabe à la Chine. Enfin, il livre des aspects moins connus du sociologue, comme sa passion pour le rugby ou son désir de jeunesse de devenir chef d’orchestre, lui qui écrivit plus tard à propos de la musique qu’elle était sans doute « la forme la plus radicale, la plus absolue de la dénégation du monde et spécialement du monde social que réalise toute forme d’art ».
(1) Gisèle Sapiro vient aussi de publier Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur ?, Seuil. Voir Politis n° 1632-33-34, du 16 décembre 2020.
Dictionnaire international Bourdieu, Gisèle Sapiro (dir.), CNRS Éditions, 968 pages, 39 euros.