Denis Sieffert : Les pieds dans le plat de la gauche
Denis Sieffert analyse les « questions qui fâchent » à gauche, terrain que laboure régulièrement Politis, dont il accompagne les réflexions politiques depuis trois décennies.,
dans l’hebdo N° 1638 Acheter ce numéro
La plume de Denis Sieffert interroge depuis longtemps, à Politis, les sujets « qui fâchent » à gauche. Dans son dernier essai, l’éditorialiste est allé creuser dans les fractures, profondément mais sans jouissance : il se dit que la gauche pourrait disparaître, terme qui a même perdu son sens dans l’arène politique. Et donc qu’il est nécessaire de comprendre où s’est perdu l’idéal, pour identifier comment le revitaliser.
L’auteur plonge aux racines d’un mouvement né il y a deux siècles dans le combat social et la soif d’émancipation de la classe ouvrière, pour en rappeler les gènes mais surtout caractériser, par contraste, les renoncements des formations politiques qui en ont hérité. Des révolutionnaires aux radicaux, en passant par les réformistes doux, « c’est le drame général de la gauche que de manquer de référence durablement positive ». L’avatar social-démocrate, né sous Mitterrand, a précipité le délitement. Abandon des combats sociaux, reddition à la doxa économiste et financière néolibérale… Sans s’attarder sur les terrains attendus d’une rupture entre une gauche « de combat » et celle qui s’est décrédibilisée à l’exercice du pouvoir, Sieffert pioche des fâcheries plus contemporaines.
Le « progrès » : même si les idées écologistes ont gagné la bataille culturelle, le productivisme et la fascination technologique ne sont pas enterrés à gauche. Plus souterrain, et ravageur : l’absolutisme de la République, brandie comme « universelle et indivisible », et le dévoiement du principe de laïcité, couvrant des manœuvres « souvent antisociales et parfois franchement racistes » (accusations de « communautarisme », menace de « séparatisme », etc.), ou encore la tentative de museler tout débat (être ou ne pas être Charlie). Puis l’auteur fait basculer son propos sur le cas Mélenchon, abordant la question de la démocratie, modalité que le tribun « rejette ouvertement ». Lui « qui a autant enchanté la gauche qu’il l’a désespérée » est dépeint comme incarnant de manière répulsive de vieilles lubies de gauche – culte du commandant suprême, posture antisystème et anti-américaine jusqu’à épargner Poutine, Assad et même parfois Trump, populisme, etc.
Y consacrer quatre chapitres risque de faire apparaître le démontage comme un règlement de comptes. À ce stade s’éclaire l’intention sous-jacente de Sieffert : prendre résolument parti contre la candidature Mélenchon pour 2022, tant le chef de La France insoumise rejette toute démarche collective pouvant déboucher sur une candidature commune de la gauche et de l’écologie, seule voie, juge l’auteur, pour ranimer l’espoir au sein d’une gauche « de valeurs », bien vivace et inventive, elle, au sein des mouvements citoyens et associatifs.
Gauche : les questions qui fâchent… Et quelques raisons d’espérer, Denis Sieffert, éd. Les Petits matins, 229 p., 16 euros.