Écologie et changement climatique : Les Ennemish, voilà notre problème !

Très nombreux parmi les décideurs, dans les entreprises et le monde politique, ils reconnaissent la réalité du dérèglement climatique sans rien remettre en cause de fondamental dans le business as usual.

Jean-Claude Gouze  • 23 janvier 2021
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Écologie et changement climatique : Les Ennemish, voilà notre problème !
© Photo : Emmanuel Macron, accompagné du ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire et de la ministre de la transition écologique et inclusive Élisabeth Borne, détaille le plan de sauvetage de l'industrie automobile dans une usine du fabricant Valeo à Etaples, le 26 mai 2020 (Ludovic MARIN / POOL / AFP)

Face à la demande faite par certains d’un moratoire sur l’attribution des fréquences pour la 5G, le président Macron a cru bon de caricaturer l’écologie qui consisterait en l’introduction du modèle Amish. Il se pourfend lui-même puisqu’il était implicitement partisan, quelques semaines avant, de ce moratoire voulu par la Convention Citoyenne sur le climat. Emmanuel Macron fut donc Amish pendant quelques semaines, avant de pratiquer le reniement de la parole donnée.

Jean-Claude Gouze est militant écologiste et maire de Senconac (Ariège).
On le sait, l’enjeu principal aujourd’hui est la dégradation dramatique du climat, et même au-delà du seul changement climatique l’atteinte de plusieurs limites environnementales planétaires.

Il est crucial pour l’humanité de prendre véritablement en compte ces menaces globales, qui mettent en jeu tout simplement la possibilité ou la dignité à terme de la vie sur terre dans les dizaines d’années qui viennent.

Face à la catastrophe qui a en fait déjà commencé (2020, année la plus chaude enregistrée, a commencé avec les gigantesques incendies australiens et a continué avec une pandémie qui a des causes environnementales de destruction des écosystèmes), il nous apparaît indispensable de définir mieux ceux qui aujourd’hui s’opposent à une vraie lutte contre le changement climatique et contre la dépréciation de la vie sur terre, opposants que nous dénommerons ici : les Ennemish.

Les Ennemish

Car, oui : les Ennemish, voilà notre problème.

Nous en distinguerons 2 grandes catégories.

La première est bien sûr celles des négateurs du changement climatique, celle des climato-sceptiques. Nous ne nous étendrons pas sur cette catégorie qui, on le sait, n’a plus aucun argument rationnel, scientifique. Même si en font partie plusieurs populistes ou autocrates aujourd’hui au pouvoir de par le monde.

La 2ème catégorie d’Ennemish, plus pernicieuse, est constituée d’un nombre très important de gens qui reconnaissent la réalité du dérèglement climatique et se disent tout-à-fait partisans de mettre en œuvre de l’écologie, mais sans rien remettre en cause de fondamental dans le business as usual.

On en trouve beaucoup parmi les décideurs, dans les entreprises et le monde politique : des adeptes du « greenwashing », des anti-écologistes primaires obligés par les faits de s’accommoder des thèmes de l’écologie, des gens maniant le mépris et l’insulte vis-à-vis de ceux qu’ils appellent des khmers verts, des Amish, des bobos intégristes… Mais aussi sans doute des gens sincères ne mesurant pas l’ensemble des facteurs qui entrent en ligne de compte.

Le mal de l’« OFC »

Ce qui peut, je crois, caractériser cette catégorie d’Ennemish, c’est de les voir atteint d’un mal que nous dénommerons : l’OFC.

L’OFC, c’est : l’Occultation du Facteur Croissance.

De quoi s’agit-il ? Il s’agit de refuser toute modification sérieuse des modèles en cours (économique, agricole, …) en faisant croire que la seule introduction de ‘croissance verte’, d’innovation technologique, d’efficacité énergétique, va permettre de tenir les objectifs drastiques de diminution des émissions.

Les vrais écologistes responsables sont ceux qui se gardent de ce travers de l’OFC : ils considèrent bien sûr l’utilité et souvent la nécessité des gains d’efficacité énergétique, de l’innovation ciblée et du verdissement des filières, mais ils ont la lucidité de voir que les diminutions des émissions ainsi induites sont plus qu’annulées par la continuation du business as usual et de la croissance infinie des secteurs économiques.

L’aéronautique, l’automobile, les déchets…

Des exemples nombreux d’illustration peuvent être invoqués, dans l’aéronautique, l’automobile, l’énergie, l’agriculture, la filière des déchets, …

Dans l’aviation civile et l’aéronautique par exemple, l’industrie peut communiquer sur le gain très important de consommation par siège passager, avec une diminution de 70 % sur 50 ans (c’est l’allure de courbe C1). Ce qui est omis dans la communication, c’est que dans le même laps de temps le trafic aérien a eu une évolution exponentielle avec une augmentation en moyenne de ~5 % par an (allure de la courbe C2). Ainsi, si l’on regarde l’évolution de la consommation globale réelle (ou des émissions de GES correspondantes) qui est le produit des 2 courbes C1 et C2, on obtient une forte augmentation, de l’ordre de +150 % (allure de la courbe C3), et non pas un gain de -70 %.

© Politis

Dans l’automobile, si l’on a une diminution de consommation moyenne des véhicules, entre un temps T0 et un temps T1, de 8 litres/100km à 6 litres/100km (soit -25 %) mais dans le même temps un doublement du trafic (2 fois plus de voitures/km), l’on a à l’arrivée une augmentation des consommations et des émissions de +50 % (de 8 à 12).

Enfin, par exemple, dans la filière industrielle du recyclage des déchets (recyclage qui ne pourra jamais être que partiel), en l’absence de politique publique efficace de réduction des déchets, le modèle économique en cours et les industriels pousseront à ce qu’il y ait toujours plus de déchets afin d’augmenter les bénéfices du recyclage.

En réponse, les industriels invoquent souvent, pour tenir les objectifs, des innovations de rupture. Malheureusement, ces technologies de rupture sont généralement très hypothétiques, irréalistes, infaisables ou incompatibles avec les courts délais impartis (géo-ingénierie, avion hydrogène, généralisation de la voiture électrique, mirage du recyclage intégral, etc.).

Conclusion

Certains secteurs, donc, en plus de s’améliorer techniquement, doivent aussi décroître, ce qui pose la nécessité sociale absolue – qui est un sujet en soi, prioritaire pour la « social-écologie » – de penser et financer l’accompagnement complet des personnels concernés (formation, aides massives à la reconversion, état employeur temporaire en dernier ressort…)

Gardons-nous donc de la « secte » des Ennemish: que les citoyens que nous sommes, souvent plus conscients que les décideurs des extrêmes périls climatiques et écosystémiques, ne soient pas dupes de la mauvaise soupe pseudo-écolo souvent servie par des industriels ou des hommes politiques.

Que les citoyens accordent plutôt leur confiance – en l’enrichissant – à la lucidité globale et transversale de l’écologie politique.

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Tribunes

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