Épique Espitallier
Le poète parcourt la France du XXe siècle en mots et en images et chatouille là où ça fait rire jaune.
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Voilà une association pertinente. D’un côté, le fonds de films amateurs collectés et numérisés par Ciclic Centre-Val de Loire (agence régionale pour le livre, l’image et la culture numérique). Une mine patrimoniale, de 1919 à nos jours. De l’autre, un poète, Jean-Michel Espitallier, l’auteur récent des remarquables La Première Année et Cow-boy, les deux aux éditions Inculte (lire Politis du 18 septembre 2018 et du 4 mars 2020). Résultat : Centre épique, un texte qui caracole au long du XXe siècle, jalonné dans ses marges de QR codes qui permettent de voir sur un téléphone les films auxquels il renvoie. C’est tout à fait passionnant.
En lui-même, le récit de Jean-Michel Espitallier est un tour de force : en quelque 90 pages, il parcourt un siècle d’événements en France ! Il le fait avec une belle alacrité et une large dose d’humour critique. La Première Guerre mondiale, la fausse insouciance de l’entre-deux-guerres, l’Occupation, les Trente Glorieuses et l’ère de la consommation, Mai 68, la folie des commémorations dans les années 1980 et 1990… Espitallier a tendance à chatouiller là où ça fait rire jaune, par exemple sur les travers du capitalisme (la vitesse, le faux progrès pollueur, le tourisme de masse…). Les films apportent un éclairage chaque fois particulier à son propos. Qu’il s’agisse de hauts gradés paradant en 1919 sur le dos des morts (Les Fêtes du retour des poilus, Maurice Brimbal, Châteauroux, 35 mm, noir et blanc, muet), de pesticides généreusement déversés (Poudrage d’un champ par avion, Jacques Dagron, 1949, 8 mm, couleur, muet), ou du Tour intemporellement populaire (Passage du Tour de France à Brou, Pierrette Paillet, 1975, Super 8, couleur, muet). Le mordant des mots, la chair des images : ça matche !
Centre épique, Jean-Michel Espitallier, L’Attente, 100 pages, 13 euros.