La calligraphie arabe comme signe de paix

La photographe Eugénie Baccot s’est plongée dans l’univers carcéral, où cet art délicat devient un outil de déradicalisation.

Jean-Claude Renard  • 20 janvier 2021 abonnés
La calligraphie arabe comme signe de paix
© Crédits : Eugénie Baccot

Formateur, Nicolas Camoisson déballe ses calames (en carton épais) et ses encres de Chine dans une petite salle de classe. Nous sommes dans la prison de Bordeaux-Gradignan, celle encore de Mont-de-Marsan. Après les attentats de Charlie Hebdo, Nicolas Camoisson a répondu à une proposition : organiser des ateliers pédagogiques et artistiques pour diffuser un islam éclairé derrière les barreaux. Face à lui et à ce programme unique en France, des personnes radicalisées, d’autres pas, des gens de confession musulmane ou non, beaucoup d’hommes, peu de femmes. Un programme, étiré sur plusieurs mois, croqué par l’objectif d’Eugénie Baccot.

Ici, M., qui a toujours considéré « l’arabe comme une langue de communication. Il sait l’écrire, observe la photo-graphe, mais découvre la difficulté de la pratique de la calligraphie ainsi que la beauté du geste, qui donne à la langue une tout autre dimension ». De son côté, J. s’est laissé tenter par la calligraphie pour s’occuper. « Cela me fait du bien, confie-t-il. Il faut apprendre à manipuler les outils, c’est difficile ».

De fait, la patience est le maître-mot de la calligraphie. « En répétant encore et encore les mêmes gestes, commente Eugénie Baccot, elle permet aux détenus de travailler leur concentration et leur dextérité. » Pour P., c’est aussi un moyen de « s’évader ». On compare ses travaux, on découvre une culture, une esthétique, on explique l’origine d’un mot, on se débrouille et négocie avec les interdits, on utilise donc des marqueurs usagés imbibés, du scotch pour coller des gobelets en plastique qui font office d’encrier, on calligraphie un prénom qu’on offre à une autre personne détenue ou à un surveillant, on s’essaye à différents formats, on déploie des rouleaux de papier, on expose même, fièrement, et parfois épaté, sur les parois de différents quartiers, le long d’un couloir qui mène au parloir…

Difficile de dire quels sont les effets de ce programme culturel. Il n’empêche : pour Mahmoud Ould Doua, aumônier à la prison de Gradignan, « grâce au travail de calligraphie, le détenu radicalisé qui a épousé les théories jihadistes découvre la beauté de l’islam. Il est important d’utiliser la calligraphie pour attirer le croyant vers la spiritualité et l’islam de la miséricorde, pas vers la violence ».

Photographe indépendante, Eugénie Baccot cadre la délicatesse dans l’âpreté, une poésie dans le chaos, quelque chose de complexe, à la fois dans le projet de déradicalisation et dans l’exercice même de la calligraphie. Dans un anonymat garanti. C’est en suivant les pas « d’un tatoueur des prisons, dans les coursives de la maison centrale de Saint-Maur », qu’elle s’est d’abord confrontée à l’univers carcéral. Parallèlement, elle est attirée par le monde arabe, décline des reportages sur l’Égypte (notamment sur l’art de la marionnette), poursuit son travail sur les mouvements culturels décalés sur le continent africain, le prolonge par un intérêt prononcé pour le monde des cow-boys aux États-Unis. Travail éclectique s’il en est. Sobre et remarquable.

Pour prolonger ce portfolio, voir le site eugeniebaccot.com

Société Police / Justice
Temps de lecture : 3 minutes

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