Le moment saint Thomas
Ce qui ne se rattrapera pas, c’est la désagréable impression que le gouvernement n’agit pas, mais « réagit ». Il réagit sous la pression de l’opinion. Il navigue à vue, une fois dans un sens, une fois dans l’autre, moins par incompétence que par opportunisme.
dans l’hebdo N° 1635 Acheter ce numéro
Souvenez-vous, c’était il y a seulement deux semaines. La polémique faisait rage. Le gouvernement était soupçonné de vouloir rendre la vaccination obligatoire. Il avait dû vivement renvoyer son projet à plus tard. À jamais sans doute. Vous vous êtes éloignés quelques jours des feux ardents de l’actualité, et voilà qu’au retour c’est une autre polémique, à front renversé, qui agite le pays. Le même gouvernement est accusé de freiner l’injection du précieux sérum. Vu de Sirius, cela donne l’impression d’une société d’une incroyable versatilité. Mais le pays n’est pas versatile, il est divisé. Et sur un sujet plus profond qu’il y paraît, qui n’est pas seulement pour ou contre un vaccin, mais qui se pose la question de la vérité et du mensonge en politique, et peut-être, plus grave encore, dans la science. Parfois jusqu’à la déraison, le doute s’étend à toutes les sphères de la connaissance. Malade non seulement de la pandémie, notre société traverse une terrible crise de confiance. On lui a trop menti. Et le mal remonte à loin. L’épreuve de la pandémie agit comme un révélateur. Du coup, notre pays est peuplé de saint Thomas. L’apôtre qui ne croyait pas à la résurrection du Christ parce qu’il ne l’avait pas vue deviendrait presque le saint patron des sceptiques en tout genre. Nombre de nos concitoyens ne veulent plus croire que ce qu’ils voient. Ils voulaient voir que le vaccin n’est pas nocif. Après des millions de doses injectées dans le monde, ils ont pu s’en convaincre. Mais ils demandent à présent à voir ses effets. Nous protège-t-il vraiment, et pour combien de temps ? Et quand va-t-il nous permettre de tomber les masques, d’embrasser nos proches, de retourner au café, au théâtre, au cinéma, de se mêler à des fêtes qui ne nous attirent pas immédiatement les CRS ? Rien de tout ça ne peut encore se voir. Et – particularité française – en début de semaine, même le vaccin ne se voyait pas.
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Pris de panique, il hâte enfin le mouvement. Mais en commençant par la démagogie : feinte colère d’Emmanuel Macron, comme si le président de la République n’avait été informé de rien ; et création d’un « collectif citoyen », comme si le Parlement n’existait pas. Certes, dans quelques semaines, le retard finira par être rattrapé. Ce qui ne se rattrapera pas, hélas, c’est le nombre de victimes du Covid qui auraient pu être évitées sans tous ces jours perdus. Ce qui ne se rattrapera pas non plus, c’est la désagréable impression que le gouvernement n’agit pas, mais « réagit ». Il réagit sous la pression de l’opinion. Il navigue à vue, une fois dans un sens, une fois dans l’autre, moins par incompétence que par opportunisme.
L’autre cause de nos déboires est administrative. Elle touche à notre tradition politique, tatillonne et ultra-centraliste qui se manifeste par cette éternelle défiance à l’encontre des élus et des territoires. Il est bien sûr nécessaire d’obtenir le consentement des résidents des Ehpad. Mais rien de tout ça n’était incompatible avec l’ouverture de centres de vaccination à tous les volontaires, comme c’est le cas à peu près partout ailleurs dans le monde. Mieux que tous les discours, une campagne massive et rapide aurait eu un effet d’entraînement sur la plupart des sceptiques. De quoi allumer une lueur d’espoir au bout de ce long tunnel. Dans un tel contexte, on ne peut que souhaiter que l’opposition de gauche n’en rajoute pas en excitant les doutes mal placés ou en idéologisant le débat. La politique vaut mieux que ça. Les enjeux sont trop importants. C’est la démocratie qui est malade. Ce n’est pas saint Thomas qui la guérira, mais une politique de cohérence, de vérité et de sincère empathie.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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