Paul Otchakovsky-Laurens : Autobiographie d’un éditeur

Les deux films de Paul Otchakovsky-Laurens, décédé il y a trois ans, paraissent en DVD.

Christophe Kantcheff  • 13 janvier 2021 abonné·es
Paul Otchakovsky-Laurens : Autobiographie d’un éditeur
© Jean-Marc Schick

Le 2 janvier 2018, mourait soudainement dans un accident de voiture l’un des éditeurs les plus importants de la vie littéraire française : Paul Otchakovsky-Laurens. Cette disparition était vécue comme un cruel arrachement parce que le directeur des éditions POL occupait une forme de magistère moral dans la profession dont on voyait mal qui pourrait l’occuper à sa suite (et, en effet, personne ne l’a encore remplacé) ; parce qu’il avait encore beaucoup à publier (heureusement, les éditions qu’il a fondées ont su perdurer) ; enfin, parce qu’il avait inauguré une œuvre cinématographique singulière, très personnelle, qui offrait de belles promesses. Les deux longs métrages qu’il a réalisés, le premier en 2007, Sablé-sur-Sarthe, Sarthe, le second en 2017, Éditeur, sont aujourd’hui proposés en DVD.

Le premier est un retour dans la petite ville où il a vécu sa jeunesse. Bourgade sans histoire, figée dans une sorte d’intemporalité, c’est ainsi que le réalisateur la voit quarante-six ans après l’avoir quittée, même si le nombre d’habitants de Sablé a triplé. Ces retrouvailles se doublent d’un besoin de revisiter son enfance et des questions que Paul Otchakovsky-Laurens a gardées en suspens. Des questions faites de silences : pourquoi sa mère l’a-t-elle confié à une mère adoptive ? Pourquoi lui a-t-on dit tardivement qu’il était juif et l’avoir caché à l’entourage ? Pourquoi cette chape de plomb sur la violence sexuelle dont il a été l’objet ?

Ces interrogations, qui ne reçoivent pas forcément de réponse, ne donnent pas pour autant une œuvre lourde de pathos. Pour le réalisateur, mettre des images et des mots dessus est en soi une opération de prise de distance. Ce qui ne l’empêche pas, à l’aide de photographies familiales, de rendre un hommage bouleversant à sa mère adoptive et de tourner une séquence très forte avec son oncle survivant, aux souvenirs intenses bien que lacunaires.

Éditeur est un film tout aussi intimiste. À dire vrai, il est le prolongement du précédent. Il s’ouvre même sur des images de Sablé. Qu’a fait le jeune Paul Otchakovsky-Laurens une fois parti de cette ville ? Du point de vue cinématographique, Éditeur amplifie l’inclination à fictionner dont le premier film témoignait déjà. Le réalisateur reprend le même principe de se figurer, jeune, par une poupée conçue par l’artiste contemporaine Gisèle Vienne. Il met aussi en scène quelques courts métrages muets et en noir et blanc qu’il insère dans son film, illustrant certains épisodes de sa vie d’éditeur. Les acteurs en sont plusieurs de ses auteurs.

Quant à l’édition – sa passion –, même s’il évoque des faits de son parcours, il l’aborde là encore de façon très intérieure. « C’est d’abord l’histoire de quelqu’un qui, lisant des manuscrits, éditant des livres, trouve peu à peu ses mots à lui à travers ceux des autres, grâce auxquels il peut vivre », dit-il. Il ajoute plus loin : « La vérité est une forme, la vérité est une note juste. Le jour, pas si ancien, où j’ai compris ça, je suis entré tout entier dans mon métier et dans ma vie. »

Sablé-sur-Sarthe, Sarthe et Éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens, La Huit (coffret 2 DVD).

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes