Reza Jafari : « Ce n’est pas cette France que j’aime »
Reza Jafari se bat pour celles et ceux qui, comme lui, ont dû fuir l’Afghanistan. Au nom des valeurs du pays qui l’a accueilli.
dans l’hebdo N° 1636 Acheter ce numéro
Dans sa voiture qui nous emmène dans les tréfonds de la banlieue parisienne, des notes chaleureuses retentissent. « Connaissez-vous la musique afghane ? » nous demande-t-il. Devant notre inculture coupable, ce jeune homme aux épaules larges et au regard perçant reste dubitatif. L’image de son pays d’origine est à ses yeux très importante. Il voudrait qu’on le connaisse tellement mieux. C’est pour cela qu’il dirige le Centre culturel afghan, à Paris, et qu’il s’est donné pour mission de « montrer qu’il existe une culture autre que la guerre ».
Natif de Ghazni, près de Kaboul, Reza est issu de la minorité hazara, persécutée par les talibans. Il n’a aucun souvenir d’enfance de son pays d’origine : ses parents ont fui l’Afghanistan pour l’Iran alors qu’il était bébé. Mais, en 2003, ils meurent avec les 22 000 victimes d’un grand tremblement de terre. Reza n’a que 9 ans. Il est placé dans un camp où il « grandit très vite », dit-il.
Persécuté par la police iranienne à cause de ses origines ethniques, le jeune garçon bagarreur et débrouillard finit par quitter le pays des mollahs pour un avenir meilleur. Il franchit les frontières à la rame ou planqué dans des camions. « Mon rêve, c’était de faire des études », confie-t-il. À 14 ans, il arrive à Paris. Il est alors ce qu’on appelle un mineur étranger isolé. Pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, l’orphelin devient pupille de la nation et, à 18 ans, obtient la nationalité française. De cette -expérience, Reza garde un attachement viscéral à la France. À cette main tendue vers lui alors qu’il n’avait rien. Cette reconnaissance lui fera envisager une carrière dans l’armée. Mais il est trop indépendant pour obéir aux ordres sans broncher.
En 2012, à 17 ans, il crée son association, Enfants d’Afghanistan et d’ailleurs, et s’investit à fond pour les enfants. Leurs familles. Il part même s’installer en Afghanistan, où, dès sa majorité, il crée et dirige un centre pour victimes de traumatismes. Mais, sous la menace talibane, il est contraint de rentrer fin 2015. Puis travaille encore dans la rue auprès des exilés. « Je vivais quasiment tout le temps avec eux. À un moment, j’ai eu besoin de prendre un peu de distance », raconte-t-il. Alors, pour « prendre du recul », il accepte récemment un travail de traducteur à la Cour nationale du droit d’asile. « Parfois, je me réveille en sursaut la nuit avec l’impression qu’on me tire dessus. En fait, je rêve des histoires que je traduis », admet-il.
Quand, en septembre, les évacuations de campements s’enchaînent en banlieue parisienne, c’est lui que les réfugiés appellent à l’aide. À 25 ans, ce jeune père de famille répond sans faillir. Pour la dignité des exilés mais aussi pour l’honneur de la France.L’évacuation à Aubervilliers, en septembre, ou celle du campement de Saint-Denis, le 17 novembre, le révoltent. Le gaz. Les coups de matraque. La volonté d’expédier les gens en dehors de la capitale. Il organise alors, « à la demande des exilés », assure-t-il, le campement de la place de la République. Objectif : « Les rendre visibles ».
Reza a pris des coups ce soir-là. L’évacuation est un fiasco policier. L’indignation est nationale. Certains commentateurs l’accusent d’instrumentaliser les demandeurs d’asile à des fins politiques. Mais son combat est bien plus profond qu’une affaire d’ego. S’il faut des coups d’éclat et utiliser les médias pour faire avancer la cause, peu lui importe.
« Quand je suis arrivé en France, j’ai dormi quinze jours sous les ponts, se souvient-il. C’était il y a près de douze ans et la situation n’a pas évolué : ce n’est pas acceptable. Il faut se mobiliser massivement pour faire cesser ça. Chaque jour, les exilés sont traqués, insultés, humiliés… Ce n’est pas cette France que j’aime », dit-il. Son ton est calme, sa détermination inébranlable. Elle se nourrit de celle des exilés. À chaque passage dans les campements, la même question lui est posée : « Que fait-on maintenant ? » Alors Reza Jafari projette. Des actions sont à venir et ce, jure-t-il, jusqu’à ce qu’une solution pérenne s’ensuive.